À l'approche de l’élection présidentielle américaine, la communication bat son plein, pour le meilleur et surtout pour le pire. Au jeu de «Qui incarne le mieux le politicien-marchandise ?», le nom de Donald Trump figure en bonne place. Dès 2016, il s'est positionné comme une marque, jouant de sa réputation de milliardaire audacieux pour développer une image publique forte, avec même des produits dérivés.
Devenus des marques, les politiciens envahissent parfois les étals. Tout le monde se souvient notamment de l’affiche « Hope » de l’artiste Shepard Fairey, immortalisant Barack Obama en 2008. S’il n’est pas le premier à avoir perçu cette tendance, Donald Trump en est l’exemple le plus frappant. En pur produit de notre époque, il a su capter l’attention en brouillant les frontières entre politique et spectacle.
Le milliardaire a géré ses tweets, ses apparitions publiques, et même ses scandales comme des campagnes publicitaires, cherchant à maximiser l’exposition médiatique. « Donald Trump ne se soucie pas de ce que vous dites à son propos, l’essentiel est que vous disiez quelque chose », en dit le photographe Anders Serrano dans son exposition au Musée Maillol, à Paris, « Andres Serrano. Portraits de l'Amérique ».
L’un des aspects les plus marquants de la politique de marque étant la simplification du message, ses discours sont réduits à des phrases-chocs. Son slogan, « Make America Great Again », est un parfait exemple de stratégie de branding : simple, évocateur, et mémorisable. Ce n’est pas seulement une promesse politique, c’est un message marketing touchant une corde sensible de nombreux Américains. Cette simplification conduit à la domination des affects, des émotions sur la raison. Trump a d’ailleurs poussé cette logique à son paroxysme, avec l'assaut du Capitole ou encore l'exploitation de la tentative d’assassinat dont il a été victime.
D’électeur à consommateur
Le politicien se transformant en produit, l’électeur devient logiquement un consommateur. Le choix d’un candidat s’apparente à celui d’une marque, où l’on cherche avant tout une identification personnelle, un écho à ses propres besoins, un discours plaçant l’égo avant l’égalité. Tous les coups sont donc permis. Souhaitant enrayer la dynamique de Kamala Harris, Donald Trump n’hésite d’ailleurs plus à recourir grossièrement aux deepfakes (images suggérant le soutien de Taylor Swift ou dépeignant la candidate démocrate en leader communiste).
Les électeurs devenus consommateurs, le débat politique risque de se réduire à une simple compétition de marques, où l’apparence et le message simplifié primeront sur les idées, où celui qui triomphera sera celui qui maîtrisera mieux les réseaux sociaux et l’IA.
« Je » démagogique contre jeu démocratique
Cette évolution n’est pas sans dangers. Les enjeux complexes sont simplifiés à l’extrême, les discours se polarisent, et les personnalités prennent le dessus sur les idées. En se concentrant sur l’image et la marque personnelle, les politiciens perdent de vue les véritables défis auxquels ils sont censés répondre. La politique devient spectacle, série d’événements médiatiques destinés à renforcer la marque du politicien.
L'écrivain Christian Salomon, dans L’Ère du clash, soulignait dès 2019 que cette évolution conduit à une fragmentation de la société, où les citoyens sont de plus en plus divisés en tribus politiques, chacune suivant sa propre marque, avec peu de place pour le débat constructif.
Si l’on peut reconnaître l’efficacité de la stratégie de Trump, il est essentiel de s’interroger sur ses conséquences. La politique de marque risque de transformer la démocratie en une simple compétition de popularité, où la substance est sacrifiée au profit de l’image, où la nuance et la diplomatie – ce qui fait le sel démocratique et coïncide au « temps long » – sont dénigrées et abandonnées.
L’avenir de la démocratie dépendra en partie de notre capacité à réhabiliter le débat d’idées, à replacer la politique au service du bien commun. Donald Trump a montré la puissance de la politique-marchandise. En tant que citoyens, faisons en sorte que la démocratie redevienne « Great Again ».