Le départ de Joseph Besnaïnou de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), pendant cette semaine qui est aussi celle de la publicité, semble se faire dans une totale indifférence. Pourtant, il s'agit d'un départ à la fois étrange dans ses motivations et inquiétant pour la zone d'ombre que génère sa succession.
Qu'était l'ARPP avant Joseph? Plus connue sous son précédent sobriquet désuet de Bureau de vérification de la publicité (BVP), l'ARPP a mis des années avant de faire comprendre aux publicitaires, et surtout aux créatifs, qu'il était leur allié et non leur ennemi. Je me suis moi-même fourvoyé à de nombreuses reprises avant de comprendre que le BVP avait été inventé par les publicitaires, les médias et les annonceurs, afin d'éviter les fourches Caudines du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et son arme favorite, la censure.
La création du BVP a été rendue possible par la volonté des publicitaires de se montrer responsables, par la volonté de pouvoir rester créatifs tout en respectant les fondamentaux et le cadre de certaines lois de plus en plus contraignantes.
Tout cela est bien joli, mais la perception du BVP fut tout autre, servant même de cible aux publicitaires en mal de sensations fortes – et j'en fus – qui avaient compris qu'un refus du BVP était synonyme de censure et donc de coup de pub. Nous avons donc instrumentalisé le BVP pour en faire une arme d'aïkido efficace.
Talent de négociateur
Joseph Besnaïnou mit fin à cette manipulation. Il rendit au BVP son statut de conseil envers les agences. Des agences réputées créatives comme H, V, T, B, W, A ainsi que d'autres lettres de l'alphabet ont souvent adopté une attitude préventive avec le BVP, travaillant les scripts en amont, en acceptant les remarques plus ou moins justifiées et pertinentes des juristes de l'institution avec lesquels il était devenu enfin possible de discuter. Bien que directeur général, Joseph a aussi agi comme un directeur de la communication, en transformant l'image de censeur en celle d'un conseiller et d'un partenaire.
Hémisphère droit (l'ennemi héréditaire connu pour certains dérapages de jeunesse comme le lancement de Virgin Cola) a pu apprécier à sa juste valeur son talent de négociateur et sa volonté de toujours trouver une solution à un problème qui jadis paraissait insurmontable. Nous avons même travaillé gracieusement à de nombreuses reprises pour le BVP puis pour l'ARPP, pour leurs cartes de vœux et courriers de déménagement, et nous n'avons connu, pour ce travail, aucun refus ou demande de modification, malgré le ton provocant de certaines annonces. Depuis, Joseph et moi sommes devenus amis.
Avec la prolifération des associations de défense des consommateurs, il est plus que jamais essentiel que le BVP serve de Casque bleu entre le monde publicitaire et le monde associatif dont les intérêts, aussi bien économiques que philosophiques, divergent en tous points.
En se dotant d'un nouveau nom, le BVP devenu ARPP a changé de statut, de stature, de locaux et d'image. Joseph Besnaïnou a rendu l'ARPP fréquentable et les publicitaires n'ont plus honte de dire qu'ils ont un ami patron… pardon, DG de l'ARPP.
Pour les créatifs – que je ne me permettrai pas de représenter dans leur ensemble –, Joseph a permis de transformer l'ARPP en un outil de défense de la création, une sécurité sociale qui nous permet de prendre des risques en tenant compte du cadre des lois et des nouvelles mesures gouvernementales. Un garde-fou qui permet aux fous de le rester et de continuer à espérer que la pub sera toujours un espace ouvert, dédié à la pensée latérale où notre hémisphère droit nous permet de sortir du cadre en permanence.
Pourquoi un tel départ? Motivé par qui et par quoi? N'avons-nous pas notre mot à dire? Comme Hémisphère droit ne fait pas partie de l'Association des agencs-conseils en communication (AACC), elle ne peut participer au débat officiel. Toutefois, nous pouvons officiellement nous indigner en espérant que mes petits collègues et néanmoins amis de l'AACC, à défaut d'empêcher son départ, pourront nous donner des explications plus sérieuses qu'un problème d'entente avec son président, et surtout, l'assurance que le système patiemment mis en place par Joseph perdurera, une fois son remplaçant recruté et le président actuel remplacé (ce qui ne saurait tarder, dans les deux cas, d'après ce qu'on nous dit).
Le Joseph de l'Ancien Testament interprétait les rêves. Il fut trahi par ses frères et jeté dans un puits avant d'être sauvé et de devenir vice-roi d'Égypte. Espérons qu'il ne s'agit là que d'une allégorie et que Joseph Besnaïnou continuera d'interpréter nos rêves, qu'il ne sera trahi ni par ses frères ni par un quelconque pharaon.