Chronique

J’espérais vous retrouver pour vous dire « c’est reparti ». Me revoilà dans Stratégies, c’est déjà ça, et Anne ma sœur Anne, que vois-tu venir ? La reprise toujours pas.

Pourtant nous avons vécu avec le Grand confinement une intense accélération numérique, un transfert violent de nombreux usages, particuliers et professionnels, qui marque une des très rares certitudes de ce fameux monde d’après : la suprématie des puissances numériques. 

Pour une fois, regardons le doigt plutôt que la lune et ces dernières semaines, c’est notre petite France qui me semble le mieux éclairer l’état du monde numérique et ses grands enjeux à venir. Finalement, le décrochage de notre économie, à défaut de la pleine capacité de réagir en industriels nous offre un recul précieux. Le 30 juillet dernier, Cédric O, secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques, annonçait pour la rentrée un projet de loi porté avec Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, qui doit promouvoir un numérique plus vert.  Cette annonce marque l’épicentre de notre rapport au numérique et la ligne de toutes les fractures, locales et globales, de toutes les pratiques humaines « connectées ».

Si les ministres sont revenus sur leur idée de proscrire les forfaits illimités – ouf ! – et que même le président de la République a tranché et interdit l’usage de la lampe à huile dans la start-up nation, il est évident que la sobriété doit s’inviter aussi dans le numérique. Avec deux préalables fondamentaux. D’abord la connectivité de l’ensemble du territoire parce qu’aujourd’hui, encore un enseignement de ces derniers mois, la déconnexion est bien plus invalidante que l’isolement. L’autre préalable essentiel, c’est le fondement même d’Internet : la neutralité du réseau - qu’on résume joliment en disant que les paquets de données qui s’y échangent naissent et circulent égaux en droit. Faudra-t-il demain pour exercer sa sobriété numérique, gérer sa bande passante en devant choisir entre l’utile et l’agréable, le vertueux ou le politiquement incorrect ?

Mais, c’est, après la démocratie, sous le prisme de l’économie qu’il convient de considérer cet appel à la tempérance numérique. Qui pour financer les infrastructures, les tuyaux qui permettent Netflix et Zoom ? Le plan de relance consacrera 8 milliards pour le numérique et le débat sur la 5G et ses usages fait rage. Les opérateurs qui ont déjà dû rogner sur leurs marges ont l’air d’aller à reculons vers de nouveaux investissements. Rappelons que Martin Bouygues a été parmi les premiers à appeler à un moratoire pour le déploiement de la 5G, un comble.

La pub dans la ligne de mire

Pilier économique d’Internet et moteur unique de la croissance de Google et Facebook, la publicité et sa manne seront les suivantes à passer dans la ligne de mire. Les associations de consommateurs, les antipubs qui s’attaquaient au métro au début des années 2000 le disent depuis longtemps : la publicité, c’est de la pollution et des usages subis. La sobriété numérique passera forcément par de nouvelles pratiques publicitaires.

La bonne et la mauvaise nouvelle c’est que ce mouvement est largement anticipé par les grandes plates-formes qui se retrouvent dans la position de refermer la porte derrière elles, et d’avoir les moyens d’interdire les usages qui les avaient portées jusqu’ici. Moins de publicité numérique sauvage, la fin de ces odieux cookies qui vous traquent, la disparition des pop-up qui vous encombrent dans votre navigation, c’est paradoxalement moins de travail et d’options pour nos acteurs locaux. Il faut s’y préparer et j’insiste le souhaiter, le coup est parti, mais cette étape passera par un nouveau renforcement des grandes plates-formes.

Deux leçons à tirer pour bien préparer ce fameux monde d’après.

D’abord, la mère de toutes les batailles sera celle de la créativité, des contenus et de leur financement. Je sais que je prêche ici des convaincus : la culture et les médias méritent bien un plan de relance européen à la hauteur – au moins – de celle de l’aéronautique ou de l’automobile.

Ensuite, comment se mettre d’accord sur ces sujets au plan européen alors que nous ne parvenons même pas à nous mettre d’accord entre nous, en France ? A chaque grande crise nationale, des attentats au Covid-19 en passant par la 5G, le débat est le même, les polémiques très proches, et à chaque fois, on est bien incapable de trancher à chaud : on en fait des montagnes qui accouchent de souris. La seule sortie possible est un Grenelle-Ségur du numérique et de ses priorités. Il faudra commencer localement, à notre échelle nationale, pour nous aligner et ne pas nous retrouver à chaud à faire la leçon de la démocratie à celui qui parle d’écologie, surtout quand personne n’en a les moyens économiques. Nous avons cruellement besoin de réunir les parties prenantes de tous ces sujets et de leur demander de prioriser et d’articuler les injonctions de notre nouveau monde, celui qui associe le naturel et le logiciel.

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