Le digital, qui nous a sauvés pendant le confinement, serait-il devenu le pire ennemi du «monde d’après» ? Aujourd'hui, il se retrouve accusé de tous les maux. Tout y passe, dans un grand mélange souvent approximatif : le numérique produit une empreinte carbone désastreuse, il permet (voire encourage) la diffusion des pires propos racistes ou conspirationnistes, et il nous pousse tous, à grand renfort d’algorithmes supposés infaillibles, à penser, consommer, voter, nous comporter en fonction de ce que d’autres auraient décidé.
Bien sûr, certaines de ces questions s’avèrent parfaitement légitimes. Réduire l’empreinte environnementale du digital n’a rien d’une lubie, et travailler à la conception de sites, applis, terminaux et data centers moins consommateurs d’énergie constitue une vraie urgence. Réguler l’utilisation des données personnelles s’avère aussi indispensable, tout comme les actions visant à limiter la propagation des «fake news». Mais lutter contre les fausses informations ne peut se limiter à museler leurs auteurs. Cela ne peut s’envisager qu’en prenant le problème dans l’autre sens : en encourageant les «real news», émanant de producteurs d’information vérifiée, argumentée, sourcée, et donc de médias faisant appel à des professionnels. Mais qui dit professionnels dit rémunération, et donc revenus, notamment publicitaires.
« En avez-vous vraiment besoin ? »
Or la publicité digitale se trouve aujourd’hui dans le collimateur de bon nombre de responsables politiques ou économiques. Elle serait tout à la fois intrusive – car basée sur ces fameux algorithmes supposés tout-puissants –, incontrôlée dans ses messages, et nocive pour la société tout entière, car elle pousserait à la surconsommation. Pour lutter contre ça, certains députés ont proposé l’affichage obligatoire de la mention «En avez-vous vraiment besoin ?» avant le paiement de tout achat sur internet. Déjà abondamment régulée, la publicité digitale a-t-elle vraiment besoin de plus de contrôle ?
La question dépasse largement le monde numérique. En cette période de nécessaire relance économique, vouloir réfréner la publicité et les achats semble étrange. 74% des ventes du secteur touristique, par exemple, se font via internet : comment alors souhaiter à la fois le rétablissement de la filière et vouloir la couper de ses clients ? La même question se pose pour de nombreux autres secteurs sinistrés, du textile à la culture. Au-delà de considérations conjoncturelles, ces propositions induisent une idée dérangeante : celle d’un utilisateur absolument incapable de penser et de choisir par lui-même.
Cette vision n’est pas seulement irrespectueuse, elle est fausse. Le consommateur le démontre en rejetant massivement la publicité digitale lorsqu’elle s’avère intrusive, et en l’acceptant lorsqu’elle sait s’adapter à ses attentes et à ses centres d’intérêt, et qu’elle respecte ses données et sa vie privée. Il le démontre aussi en faisant évoluer sa consommation, non en fonction de la pression publicitaire à laquelle il serait soumis, mais en choisissant des marques qui lui semblent plus respectueuses de l’environnement ou de l’humain.
Bien sûr, des abus continuent d’exister, en matière de publicité digitale comme ailleurs. Bien sûr, les combattre reste indispensable. Mais il est temps, également, de faire confiance à l’utilisateur, de respecter sa capacité à décider, par lui-même, de ce qu’il accepte ou non, de ce qu’il consomme ou non. Le digital, malgré tous ses défauts, représente un formidable outil d’émancipation individuelle. Il aide chacun à s’autonomiser, à s’informer, à se forger sa propre opinion. Mais pour cela, des contenus de qualité doivent continuer d’être produits. Et cela ne peut se faire sans la publicité.