Tribune
Si les médias profitent du confinement et affichent des audiences en forte hausse, ils souffrent économiquement. Il faut les soutenir et construire des marques médias françaises fortes et rayonnantes. Ce doit être l’affaire de tous les acteurs économiques et publics.

Voilà bien longtemps que les médias ne se sont portés aussi bien. Confinement oblige, la très forte poussée de leur consommation depuis la mi-mars témoigne du rôle fondamental de l’information en temps de crise. Tous les indicateurs sont au vert, qu’il s’agisse de télévision, de radio, de journaux ou de sites d’information. L’incertitude, voire l’angoisse, incite à savoir, à comprendre et à réfléchir. Et si les réseaux sociaux concentrent toujours l’essentiel des fake news, ils jouent aussi un rôle de lien et d’échange entre confinés d’une part et entre les personnes isolées, les malades et leur famille.

La revalorisation soudaine des médias est une bonne nouvelle dans la catastrophe qui nous submerge. Elle témoigne d’une confiance salutaire dans une information indépendante et sourcée, alors même que la société est souvent minée par une défiance vis-à-vis de la politique et, plus grave parfois, des institutions. A l’heure où l’on s’interroge sur la transparence des données dans certains pays « autoritaires », il convient de rendre grâce au travail difficile mais indispensable des journalistes, à l’expression nécessaire des points de vue divergents, bref au maintien de notre vie démocratique. Il n’est pas supprenant dès lors que les marchands de journaux aient été considérés dès le début du confinent comme l’un des rares commerces « vitaux », au même titre que l’alimentaire.

Un sursaut

Significative aussi, la gêne manifestée par la réduction des tournées de la Poste pour livrer les journaux papiers – heureusement corrigée grâce au travail exemplaire des facteurs – révèle l’attachement au lien quotidien de l’information pour celles et ceux qui naviguent peu sur Internet. Dans la guerre que nous menons contre le virus, les médias constituent la précieuse intendance sans laquelle les troupes se retrouveraient vite démunies.

Face au risque sanitaire, à l’inquiétude économique et au besoin de lien social, la plupart, privés comme publics, produisent un travail de qualité, privilégiant l’expertise et le débat au sensationnalisme des images. On est heureusement loin des reproches adressés à certaines chaînes d’information en continu lors de la crise des gilets jaunes. L’audiovisuel public, de son côté, a notamment vu son statut de repère plus que jamais renforcé. Si certains s’interrogeaient encore sur sa raison d’être, la démonstration est faite qu’en période de grande difficulté grippant le système éducatif et étouffant l’activité culturelle, France Télévisions et Radio France, conscientes de leur mission particulière dans la société, sont capables d’adapter rapidement leurs programmes.

L’hommage aux médias hexagonaux ne suffit cependant pas. Il appelle aussi un sursaut. Car les médias sont aussi victimes de la crise économique qui surgit dans la foulée de la crise sanitaire. Les données disponibles et les prédictions raisonnables tablent déjà sur une brutale chute de 40 à 60 % des investissements publicitaires. Dans un système déjà fragile, avec des modèles économiques bouleversés par la poussée du numérique, ce manque à gagner ne peut conduire qu’à des déséquilibres souvent ingérables.

Marques médias françaises fortes et rayonnantes

Le patriotisme économique, de ce point de vue, n’est pas qu’une formule de tréteaux. De la même manière qu’à la faveur de la crise, l’ensemble des acteurs industriels et économiques prennent conscience des risques d’une chaîne de valeur trop dépendante de la mondialisation des échanges et, par conséquent, de la nécessité de repenser la localisation des activités, la question de la souveraineté des médias français, en grande partie tributaires des annonceurs et menacés de front par la concurrence numérique mondiale, mérite d’être posée.

La France d’après le Covid-19 ne peut faire l’économie d’une réflexion sur ses médias publics et privés, ancrés dans notre culture et notre regard sur le monde et leviers d’exportation d’un soft power culturel et démocratique. Désormais, l’intelligence artificielle fait tomber les dernières barrières à l’irrédentisme linguistique. Cela ouvre de nouveaux horizons. L’exemple de journaux étrangers publiant aujourd’hui en français devrait inspirer les uns et les autres à « exporter » leur ligne éditoriale. L’exemple de l’Agence France Presse, multilingue et présente dans plus de 180 pays, devenue l’une des trois premières agences mondiales, ou encore de France Médias Monde, diffusant ses programmes télévisuels en quatre langues et radiophoniques en quatorze, démontre que cette perspective n’est sans doute pas vaine.

Dans ce contexte inédit, soutenir nos médias, tant au niveau individuel que collectif et politique, tant de manière financière que réglementaire, c’est bien plus que les protéger : c’est contribuer à construire des marques médias françaises fortes et rayonnantes. Ce doit être l’affaire de tous les acteurs économiques et publics.

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