Les tensions sont fortes. Le professeur Raoult est passé de complètement absent à mentionné jusqu'à 15 fois par heure, 35 fois par heure pour la chloroquine, rien que pour la semaine du 23 mars sur BFMTV. Son exposition médiatique a passé une nouvelle étape le 10 avril, avec la rencontre provoquée par le président Macron. Depuis son émergence auprès du grand public, le professeur est au cœur d’un grand débat médiatique.
Le décrypter peut paraitre complexe. Les prises de parole sont disparates dans le traitement de l’information (une manière polie de dire que l’on passe du complotisme gouvernemental à l’amateurisme des méthodes du professeur dans la même journée), voire même paradoxales dans les soutiens (une manière élégante de s’étonner que Gilets jaunes et élites de droite peuvent se retrouver sur un thème). Malgré tout, si l’on prend un peu de recul sur cette masse d’information et sur le débat idéologique, le cas Raoult est en tout point similaire avec un phénomène bien connu d’appropriation par les médias de figures, au départ inconnues, pour leur incorporer un système de valeur héroïque.
Ce phénomène est au moins aussi vieux que l’Iliade ! Ce n’est pas le sujet médiatique qui apporte la complexité mais uniquement la réinterprétation de tout un chacun de ce système, cumulé à la contraction dans un temps court et une urgence de crise. Dans les médias, le professeur est la rencontre du besoin vital des populations de reproduire et transmettre leurs mythologies pour affronter l’incertain et une réponse médiatique à cette attente pour capter l’attention et fidéliser leurs audiences. De ce point de vue, le professeur Raoult est un vrai cas d’école. Il devient pour nous communicants une occasion d’observer un traitement réservé toute l’année aux personnalités politiques, entrepreneurs et même sportifs.
Assise territoriale forte
Comprendre cette mécanique, c’est comprendre comment bâtir une communauté à partir d’une stratégie de personnal branding, mais aussi, et surtout, se questionner sur l’importance de cette figure récurrente dans les médias et leur rôle dans l’émergence puis la disgrâce de celle-ci. Cette mécanique commence toujours sur le terrain. Dans une assise territoriale forte, parfaitement délimitée et locale. Le professeur Raoult est indissociable de Marseille. Cette ville est un repère identitaire facilitant l’empathie (ou la détestation) des publics et la constitution de communautés reposant sur les préjugés que nous y associons.
Parallèlement à cette assise territoriale, les médias démontrent la détermination sans faille du professeur depuis ses débuts (son départ à 17 ans, son parcours initiatique, son retour pour suivre sa voie) et le succès qu’il a réussi à atteindre par le dépassement de soi, la soif de liberté, de rébellion et malgré les obstacles que la société peut mettre sur son chemin. Une véritable entreprise de vie dans laquelle les médias peuvent piocher pour valoriser sa quête mais également sa part d’ombre, inhérente à toute figure héroïque.
Cependant, cette entreprise de vie, aussi intense soit-elle, n’intéresse les médias si et seulement si elle est attachée à une dimension essentielle : l’excellence. L’héroïsation est intimement liée à la notion de performance. Sommité scientifique, multirécompensée et influente, l’excellence de ses réalisations ne font, elles, aucun doute, et sont autant une caution qu’un élément clé d’adhésion, de fidélisation et d’engagement de sa communauté et du grand public autour d’un but commun, d’une espérance.
Question de réputation
Cette espérance est le détonateur de l’accélération du processus d’héroïsation dans les médias. D’autant plus aujourd’hui où, plus que jamais, nous avons besoin d’espoir. La chloroquine n’a rien à voir dans cette espérance. Cette espérance s’exprime par la sémantique de la conscience civique et l’engagement désintéressé, et c’est bien le professeur qui incarne l’espérance d’une partie du peuple dans l’attente d’un remède. Le physique du professeur y contribue également et force est de constater que ses opposants n’ont pas les qualités requises pour devenir eux-mêmes héros médiatiques.
L’incarnation est fondamentale mais le héros n’atteint jamais seul le succès. Même les héros les plus solitaires de nos références disposent toujours d’un système d’adjuvants qui conditionne une part de fortune dans le parcours. Symbolisée dans les médias sous la forme de rencontre qui donne un tournant et un accélérateur au destin de l’individu et renforce sa détermination, la rencontre Macron-Raoult pourrait donc être une étape clé pour passer un cap dans cette représentation du héros.
Mais attention. Tout ici est une question de réputation. Cette construction du héros dans les médias ne supporte aucune entorse dans la représentation que les individus attendent. Les médias seront toujours prompts à sanctionner définitivement la mécanique qu’ils ont initiée. Et c’est bien là le rôle décisif des médias. Les médias sont les régulateurs des figures héroïques autant que des agents de régulation des réputations des individus et des entreprises. Le professeur, et ses commentateurs, ont enclenché un cycle de vie médiatique. Si prompt à prendre la parole, il reste sous le couperet de la réussite des essais cliniques en cours qui valideront ou non le passage de héros communautaire à héros national. Si les fondamentaux de la preuve ne supportent l’épreuve des pairs, les médias partiront tout simplement en quête d’un nouveau héros !