Tribune
L'élan de solidarité auquel nous assistons ces dernières semaines ne doit pas s'évaporer une fois que la pandémie sera derrière nous. Il est urgent de créer les conditions d'une solidarité structurante.

Covid-19, confinement et solidarité. Voilà le nuage de mots qui stagne au-dessus de nos têtes depuis le 18 mars dernier. Le troisième de ces mots est de loin le plus doux à entendre et le plus porteur d’espérance. Et pourtant, réussirons-nous collectivement à transformer la solidarité que nous constatons chaque jour en une solidarité structurante pour des lendemains viables ?

Certes, la solidarité n’est pas parfaite en ces jours sombres. Mais elle est cependant là, bien présente. Des dons financiers à la génération spontanée de fabricants de masques, des entraides inédites entre professionnels de santé aux applaudissements de 20 heures qui saluent leur engagement, des services rendus entre voisins aux décisions courageuses d’entreprises connues ou non, des coopérations entre territoires à celles des pays, de la généreuse créativité d’artistes transformés en faiseurs de rêve ou en pédagogues aux initiatives des associations sur le terrain… La liste est longue, créative, multiforme et multi-acteurs.

Cette convergence des solidarités prend sa source dans quatre phénomènes, qu’il s’agira de ne pas oublier, voire de réactiver le temps venu pour tenir durablement. D'abord, l’immédiateté de la sanction. La crise que nous traversons ne concerne pas un futur plus ou moins lointain, mais le présent. La maladie, la mort, la peur sont immédiates pour soi et les siens. « La solidarité nait de la douleur et non de la joie. On se sent plus proche de quelqu’un qui a subi avec vous une épreuve pénible que de quelqu’un qui a partagé avec vous un moment heureux. » Ces propos de l'écrivain Bernard Weber revêtent une singulière acuité aujourd’hui.

Interpeller les émotions

Deuxième phénomène, l’universalité du mal. La crise que nous traversons n’épargne ni pauvres ni puissants, elle touche tous les âges, dans tous les pays. Elle appelle une solidarité universelle. Ensuite vient l’intérêt commun bien compris. La pandémie actuelle reflète l’intime imbrication entre la planète et ses habitants quels qu’ils soient. Reste à voir si nous parviendrons à nous en souvenir durablement. Enfin, l’émotion interpellée. Qu’il s’agisse de la peur, de la compassion, de l’espoir, mais aussi du dépassement de soi vécu par les personnes en première ligne ou des sentiments paradoxaux ressentis par les confinés, la crise fait naître des émotions communes fortes. Elles peuvent devenir des ressorts de solidarité durable.

Alors comment construire l’après ? Chacun pousse la chanson du « ce ne sera plus comme avant », « tout est à réinventer »… Des mots aux actes, nous verrons ! Mais si l’on doit se saisir d’une chose collectivement – politiques, entreprises dont humblement les communicants, citoyens –, c’est de créer les conditions d’une solidarité durable. Pas par naïveté, mais par nécessité. Cela pourra être rendu possible en rappelant inlassablement que l’imbrication de tous sur la planète est un fait, au-delà des politiques nationales. « Désormais la solidarité la plus nécessaire est celle de l’ensemble des habitants de la Terre », disait le généticien Albert Jacquard.

Cela passera aussi par une pédagogie sans concession des conséquences immédiates des décisions et actions, au risque d’être taxés de dureté, par le réveil d'une vérité si souvent oubliée : « la solidarité, j’y ai intérêt ». Nous ne sommes pas seulement des acteurs de la solidarité, nous en sommes tous bénéficiaires. Il faudra aussi oser interpeller les émotions et pas seulement les raisons. Pour parvenir à cette solidarité durable, nous devons impérativement changer de paradigme en « pensant temps long », là où nous ne réfléchissons et n’agissons qu’en « temps court ». L’immédiateté nous fait réagir. Mais c’est la solidarité, la pensée et l’action temps long qui nous protégeront.

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