Tribune
Nombreux sont les outils à nous faciliter la vie en ces temps de crise, de Zoom à Teams, en passant par Amazon. Mais n'attendons-nous pas de ces marques qu'elles s'engagent davantage, par exemple en protégeant leurs salariés de la crise sanitaire ?

Je te Teams. Tu me Zoom. On se House Party ? Voilà que notre vocabulaire s’est considérablement enrichi ces temps-ci. Et nos habitudes avec. Vidéo à plusieurs, chat, jeux et exercices à distance… : toutes les générations s’y mettent. Les outils digitaux jouent un rôle plus central que jamais pour nous aider à traverser cette crise inédite, et ils vont nous faire franchir un bon supplémentaire dans l’adoption de nouveaux usages, en répondant à un désir simple : celui de nous retrouver, de ne pas perdre le lien et de compenser ce confinement, salutaire mais que nous subissons tous. Aux animaux sociaux que nous sommes, ces services digitaux sont devenus si précieux qu’ils rythment désormais nos journées.

A l’instar de ces incontournables outils de communication, les marques, elles-aussi, se sont mobilisées rapidement et ont cherché, via internet, à nous rassurer autant qu’à nous proposer des idées, des solutions pratiques pour affronter d’abord la sidération de l’événement puis désormais gérer le quotidien confiné. Les e-commerçants arrivent en tête, évidemment, les mieux placés pour leur utilité immédiate, pratique. Leurs services nous aident à être citoyens, c’est-à-dire à rester confinés bien sagement à la maison #restezchezvous, tout en nous facilitant très sérieusement la vie. Et, il faut l’avouer aussi, parce qu’ils offrent une option assez satisfaisante pour tromper l’ennui.

Pardonner le moindre écart ?

Nous faciliter la vie… C’est formidable, bien sûr. Mais cette promesse peut-elle suffire dans le contexte d’une crise sanitaire d’une ampleur sans précédent ? Puis-je continuer à commander sur Amazon quand j’apprends que l’entreprise qualifie les demandes de droit de retrait formulées par ses salariés – à juste titre inquiets pour leur sécurité – «d’absences non autorisées» ? Et qu’elle ne rémunère donc pas ces absences. Puis-je en faire abstraction au moment «d’acheter en 1 click» ? Puis-je pardonner le moindre écart à ceux que la crise pourrait bien rendre plus riches ?

Que penser lorsque les sociétés de livraison de repas à domicile, pas avares d’emails ces jours-ci, me proposent de sélectionner l’option «devant la porte» au moment de la commande pour éviter tout contact avec le livreur ? Je comprends bien qu’il s’agit de notre sécurité à tous, mais est-il possible bien longtemps de ne pas penser aux conditions de travail du livreur en question, aux risques qu’il prend pour m’apporter mon petit-plat-tout-chaud ?

Et que penser, encore, de cette marque de vêtements (en train de réaliser qu’elle va se retrouver avec toute la collection printemps sur les bras) lorsqu’elle m’assure, dans sa newsletter spéciale, que non seulement elle m’offre généreusement les frais de livraison, qu’en plus, elle double mes points de fidélité sur toute commande passée à compter du 20 mars et, comme si cela ne suffisait pas, qu’elle m’assure en outre, bien évidemment, une livraison «sans contact» à mon domicile. Pour être vraiment sûr que cet achat compulsif de tee-shirt à logo ne met pas ma vie en danger, on me précise bien : «vous êtes averti(e) dès que votre colis est déposé, soit via votre sonnette, soit par mail ou SMS. Pensez, lors de votre commande, à renseigner toutes les indications donnant accès à votre domicile».

Contexte global omniprésent

Les gens sont depuis longtemps très sensibles aux valeurs véhiculées par les marques dont ils achètent les produits, mais cette situation de crise pourrait bien exacerber la sévérité de l’évaluation du comportement des entreprises par les citoyens, au-delà des produits, des services et solutions pratiques qu’elles nous délivrent. Parce qu’il n’est vraiment pas possible de ne pas les resituer dans un contexte plus global tant ce dernier est actuellement omniprésent, impossible à oublier. Nous sommes au maximum de la présence de la crise dans nos têtes, et il n’est donc pas possible d’imaginer qu’un quelconque message puisse être reçu sans que le Covid-19 ne vienne en modifier la perception. Attention, donc, à tout opportunisme business.

Si j’en reviens à nos précieux Zoom, Teams et autres outils de communication devenus quotidiens, tellement pratiques, tellement utiles ces jours-ci, que ferais-je, par exemple, si j’apprenais que Microsoft n’adoptait pas un comportement citoyen face à la crise ? Pourrais-je toujours utiliser Teams sans arrière-pensée ?

Alors qu’on attend de nous tous responsabilité, efforts et sacrifices, le digital, s’il n’a jamais été aussi nécessaire et utile, ne peut en aucun cas ne pas être, lui aussi, hyper-responsable. Puisque nous sommes tous logés (et même confinés) à la même enseigne, les acteurs digitaux qui pourraient tirer le moindre avantage de cette crise se doivent d’être irréprochables, sinon on ne le leur pardonnera pas.

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