Coefficient 10 ! Wow ! — On va jouer le bac à l’oral, alors ? — Carrément mec ! — 20 minutes… Mais c’est hyper long ! — C’est un GRAND oral ! — En plus le PowerPoint est interdit. — Tu déconnes ! Au moins pour le TPE, on y avait droit. — Trop ! Je me souviens quand j’ai bouclé le mien. Enfin, plutôt, quand ma mère (reine du PPT) l’a bouclé, la veille de la présentation. — Ta première charrette mec. — C’était géant, avec les potos, on vidait les binouzes du frigo. — Le Jury était cool. — Il avait adoré l’idée de faire un livre de la collection Harlequin. On a claqué un 20 ! — OK, mais là mec, le Grand O, ça va être chaud !
Le Grand Oral fait déjà beaucoup parler. Les élèves s’interrogent, les parents s’inquiètent ! La réforme, pourquoi pas. Les avalanches d’options ? Ça fait des points faciles. Le contrôle continu ? Passe encore, même si c’est plus de boulot pour tout le monde (profs compris). Mais un Grand oral ? On n’a pas idée. Coefficient 10, sans notes, sans PPT et sans les parents…Tu le crois ?
Entendant ces échanges dans une cour de récréation animée, je me suis dit que les agences de communication devraient proposer leurs services. La communication, l’oral, les présentations, c’est un peu notre métier non ? En agence, c’est un peu À voix haute et Le Brio tous les jours ! Pourquoi ne pas proposer aux jeunes qui le souhaitent de préparer cet oral avec nous ? Un partenariat entre le ministère de l’Éducation nationale, l’AACC, la filière communication, et les écoles, ça aurait de la gueule, non ? Et puis nous, ça nous guérirait peut-être des réunions où on se cache derrière un écran d’ordinateur pour éviter de prendre la parole, et des PowerPoint interminables qui laissent croire qu’une image médiocre vaut un beau discours.
Les yeux dans les yeux
Si on ouvrait nos agences aux apprentis orateurs, nous serions heureux de les recevoir. Nous partagerions les méthodes de Stéphane André, fondateur de l’École de l’art oratoire, inventeur du contrat de la rampe, du respect du masque et des obligations scéniques : « Une verticale [la posture], une horizontale [le regard], il n'y a plus qu'à couler le béton [la voix] et les fers disparaissent. L'ensemble maîtrisé fera alors un bon orateur, un funambule des mots sur le fil d'un regard. » Jury du Grand O de Sciences Po depuis dix ans, j’atteste que tout passe effectivement par le regard. Il avait raison, Cartier-Bresson, de s’élever quand on lui disait « J’en crois pas mes yeux ». Il répliquait : « Moi, mes yeux, je les crois !» Il faut aimer regarder, pour bien parler.
Nous ferions visiter nos agences, café-chouquettes au menu. On demanderait aux élèves d’apporter un objet, une photo, un enregistrement qu’ils aiment. Ils nous en parleraient. On se livrerait à l’exercice bien sûr, en les invitant par exemple à aller voir Histoire d’un regard afin qu’ils découvrent l’œuvre du photographe Gilles Caron, et qu’ils mettent leurs yeux dans ses yeux. Puis on leur proposerait un premier test dans une salle de réunion. Le jury, composé d’un consultant et d’un créatif, ferait un débrief à chaud, soulignant les points forts et relevant les points à corriger : argument à développer, rôle des mains, regard porté global, voix à renforcer, verticale à tenir… Puis on ferait tout de suite un deuxième test qui permettrait de mettre en pratique les conseils prodigués.
On se quitterait, heureux d’avoir un peu parlé, mais surtout beaucoup ri. L’épreuve arrivant, on enverrait des messages : « Donne tout », « Fonce dans le tas », « Regarde le jury »… Et puis on attendrait impatiemment les résultats. Enfin, n’y tenant plus, on appellerait. — Allo ! Alors, raconte ? — Ah oui, c’était trop bien ! J’ai cartonné. Merci M'sieur. En raccrochant, on se dirait avec un léger sourire : c’était vraiment chaud le Grand O !