C’est fou ce besoin qu’ont les marques et les entreprises à travailler leurs raisons d’être. C’est vrai, au fait, qu’est-ce que je fous là ? Je travaille dur, je gagne de l’argent, je développe mon activité, je crée des emplois, je fais de la croissance… Oui mais pourquoi ? Quel abîme. En regardant partir nos jeunes collaborateurs qui préfèrent faire un CAP cuisine ou monter un projet de trekking écologique (après avoir fait des écoles de feu pour lesquelles les parents se sont saignés aux quatre veines), les vieux de la vieille comme moi, une fois passé le temps de l’exaspération voire de la colère, se posent la question : « Mais moi ? moi ? qu’est-ce que je fous là ? »
Mission, purpose, raison d’être, nous voilà tous partis à rechercher le sens de notre quotidien professionnel. Ah la quête de sens ! Le nouveau Graal contemporain. Avant, c’était simple la vie. « Et toi, Jean-Michel, tu fais quoi dans la vie ? » et l’autre Jean-Michel, entre une gorgée de vin blanc et trois olives, nous racontait son job entre anecdotes et frise chronologique de sa carrière. On écoutait polis en attendant le plaisir bien humain de se raconter à son tour…
Sommes-nous à ce point saoulés de nos vies privilégiées ? À quoi tentons-nous ainsi de nous arrimer ? de nous rassurer ? Le modèle de notre société de consommation fait de moins en moins rêver. Les marques et les entreprises doivent retrouver dans leur histoire, leur culture, leur aventure collective, les preuves de leur utilité. D’autant plus que sur la toile et dans nos dîners entre potes, le week-end, ça tacle fort ! Je n’ai pas beaucoup de clients qui n’aient pas à se défendre au tribunal des préjugés, même auprès de leurs proches (ne dîtes pas à mon fils que je suis communicant, il ne s’en remet pas). Paysans, assureurs, banquiers, garagistes, cheminots, fonctionnaires, énergéticiens, profs, journalistes, pharmaciens, distributeurs, industriels de tous poils ... On a tant à dire sur vous. Vous tous ! Nous tous ! Il nous faudrait donc faire la liste des gentils et des méchants, des utiles et des tire-au-flanc. Historien de formation, j’ai une grosse méfiance sur le procédé.
Langue de boîte
Nourrir les gens, leur offrir du plaisir, de la beauté, du voyage, de la santé, de la lumière, de la sécurité. Les loger, les vêtir, les éduquer, ce n’est pas rien non ? Encore faut-il réapprendre à le faire en conscience, avec considération, et pas à n’importe quel prix. Ce qui fait fuir les jeunes dans les bois relève sans doute d’avantage du manque de cohérence, de sincérité, de savoir-vivre que de la mission elle-même. Pierre Rabhi me rappelait un jour « qu’on peut très bien manger bio tous les jours et filer des trempes à sa femme ». Penser juste ne garantit pas d’agir juste. Le travail bien fait ne fait pas forcément du bien. La bonne volonté ne crée pas automatiquement du mieux-être. Complexité des paradoxes...
C’est dans le collectif que naît la cohérence, la vision d’ensemble, une conviction commune. Lorsque les dirigeants, les équipes, se confient les uns aux autres, abandonnent les vieux réflexes de défense et acceptent de tomber les masques. Ceux, faussement protecteurs, de la langue de boite, du politiquement correct, des professions de foi éculées, écrites par d’autres et jamais vraiment partagées. Parce que, par les temps qui courent, accepter la question du pourquoi, partager ses doutes, se montrer fragile forgent un sentiment puissant d’appartenir à la même humanité, d’être doté d’une même sensibilité au monde et au temps qui passe.
Il nous faut donc être vigilants collectivement à ne pas jouer d’opportunisme en écrivant trop vite sur les murs des Manifestes aseptisés. Car, on le sait tous, ça se voit vite, ça se ressent fort quand les mots masquent le vide. Ne gâchons pas ce rendez-vous avec nous-mêmes, avec les autres sinon, il ne nous restera plus que le CAP cuisine ou le trekking dans les bois et je vous jure que ce n’est pas facile non plus !