Jean-Marc Jancovici, professeur à Mine Paristech, est un spécialiste de l’énergie. Il était récemment l’invité de Guillaume Erner sur France Culture. L’entretien vaut le détour et sa démonstration est implacable : « L’Europe est en décrue énergétique subie depuis 2007… Si on veut rester sous les 2° que tout le monde a en tête, il faut que les émissions de CO2 baissent de 4% par an à partir de demain matin… Ni les énergies renouvelables, ni le nucléaire ne permettront de compenser cette baisse pour conserver le confort moderne… Moins d’énergie c’est moins de machines, moins de machines c’est moins de production, moins de production c’est un PIB qui baisse. » Chronique d’une récession annoncée avec son corollaire : « Lutter contre le changement climatique, c’est se mettre au régime.»
Les prophètes irritent parce qu’ils disent souvent une vérité que l’on ne veut pas entendre. Nous, les enfants du « plus », de l’hyper consommation, de la publicité joyeuse et débridée, allons offrir à nos enfants un horizon du « moins », fait de frugalité et de retenues. Un monde au régime.
La prise de conscience des marques de cette réalité parait bien lente. Il y a celles, comme Patagonia, qui enterrent l’ancien système et se font harakiri en place public, invitant à ne pas acheter leur produit ; il y a les récentes converties au Good, qui espèrent bien en retirer un avantage compétitif (on ne se refait pas) ; il y a celles enfin, les plus nombreuses, qui ont initié des chantiers de raison d’être à ciel ouvert espérant trouver des mines de vertus et de bons comportements auxquels elles espèrent voir le consommateur être sensible.
La révolution à laquelle les marques sont invitées en ce début d’année 2020 est en fait beaucoup plus radicale qu’on ne l’imagine. Le shift du « plus » vers le « moins » ou le «mieux » impose un complet changement de paradigme. Jean-Paul Mochet (groupe Casino) le dit bien : « Notre mode de consommation doit se donner de nouvelles perspectives, retrouver une transcendance, s’intégrer à un nouveau projet à l’échelle de la planète cette fois et prendre parti pour son avenir. »
Du marketing au « contributing »
Le constat est dressé, les benchmarks ne manquent pas, mais comme souvent, le saut créatif fait défaut. Jamais les « futurs of brands » n’ont été aussi importants. Ils doivent nous aider à dessiner la fonction d’une marque dans un contexte de mise au régime énergétique, d’absence de croissance, de vieillissement des populations occidentales et d’explosion démographique des pays émergents.
Chaque marque devra choisir son camp. Il y aura les cyniques qui tenteront de faire durer le plaisir sur les nouveaux marchés en pariant sur un pas vu-pas pris à courte vue. Il y aura les repenties qui chercheront à montrer et démontrer leur vertu récente par une débauche de communication qui sera vite « washée » et blacklistée d’un clic létal.
Et puis il y aura les créatives, qui ne renonceront pas à leur fonction de marque, et qui chercheront à tout réinventer. Elles travailleront sur le néo-plaisir du consommateur à consommer moins, elles tisseront de nouveaux liens plus affinitaires, et plus proches, avec leurs clients. Elles imagineront de nouveaux récits, plus respectueux, au langage plus sincère, plus authentique, moins racoleur ou faussement connivent. Elles investiront massivement sur le design et l’architecture pour permettre au client de vivre la marque de l’intérieur, et d’y habiter.
Le marketing est mort le 12 décembre 2015 alors qu’il allait fêter ses 70 ans. Les accords de Paris l’ont terrassé d’un coup marteau sec devant les caméras du monde entier. Il laisse la place à un nouvel art de la marque qui reste à inventer. Né sous Z (pour la génération), on devrait le nommer le « Contributing» tant le défi à relever pour les marques est clair : éviter la dépression à un monde au régime et apporter leur contribution pour le ré-enchanter autrement.