Ces derniers mois ont fourni un lot considérable d’études et d’articles sur l’évolution du directeur marketing (CMO) dans le contexte actuel de digitalisation toujours croissante. Malgré la qualité de ces analyses, un point semble manquer sérieusement : la nécessité vitale de la collaboration entre le CMO et son homologue des systèmes d’information, le CIO.
Pour de nombreuses entreprises, l'expérience client est devenue un levier stratégique de croissance et de réponses aux nouveaux usages. Et les CMO sont plus que jamais challengés sur leur contribution à cet enjeu. Dans ce contexte, la connaissance et l’expérience client, prérogatives du CMO, sont évidemment centrales pour comprendre les tendances clés et anticiper les besoins du marché. Mais elle ne peut exister sans le patrimoine de données accumulées par le CIO, levier indispensable à une réponse adaptée à des attentes clients de plus en plus immédiates, pressantes et complexes. Ainsi, si les objectifs des CMO n’ont pas fondamentalement changé, le contexte technologique change radicalement la donne.
Une collaboration stratégique, source de performance
Au-delà de toutes les analyses sur les compétences à acquérir par les CMO, l’enjeu prioritaire ne serait-il pas avant tout le développement d’une collaboration beaucoup plus étroite entre le CMO et le CIO ? C’est d’ailleurs ce qui ressortait d’une série d’interviews de directeurs et directrices marketing réalisés avant l’été par Octo Technology afin de mieux comprendre leurs attentes en termes de technologie. Ce point a d’ailleurs été confirmé dans une étude conjointe d’Accenture et Forrester menée en mars dernier.
Le poids croissant et désormais majoritaire des dépenses martech des CMO devrait interpeller n’importe quel CIO. Et quel directeur marketing peut raisonnablement espérer développer des outils marketing digitaux intégrant les contraintes de tout système d’information sans interagir étroitement avec son CIO ? Car traiter les sujets de la donnée ou de l’expérience client digitale omnicanale nécessite des solutions éminemment complexes. Elles ne peuvent être construites par l’expert unique d’un domaine mais requièrent une approche mêlant un ensemble de compétences et d’expertises que doit encadrer une réflexion commune du CMO et du CIO, comme les approches Agile le matérialisent.
Cette collaboration doit permettre de tordre le cou à la fois au « shadow IT » des directions marketing et aux POC (proof of concept) sans lien avéré avec les besoins métier des équipes IT, qui alimentent depuis longtemps une méfiance réciproque.
Une volonté managériale avant tout
Pour y arriver, au-delà de la volonté personnelle des dirigeants et des expertises nécessaires (souvent externes dans un premier temps), la culture de management et l’organisation doivent s’adapter. Si la transversalité est à la mode, elle ne peut conduire qu’à une déresponsabilisation si elle n’est pas accompagnée par un changement profond des habitudes de travail. Il faut au contraire que les CMO s’inspirent de ce que font nombre de CIO en adoptant des méthodes qui favorisent l’autonomie, des cycles de travail commun courts (sprints) et des prises de décision rapides. Cela permet de tester rapidement de nouvelles solutions quels que soient les sujets, sans investissements démesurés, tout en tenant compte de l’héritage IT (le legacy) qui impose souvent des contraintes fortes et des approches adaptées.
Enfin, cette collaboration sera d’autant plus efficace que les directions marketing développeront une réelle culture IT, au-delà du simple marketing digital, pour gagner en capacité à discuter avec les équipes de la DSI. Igor Beuker, figure singulière du marketing anglo-saxon, souligne à juste titre : «Marketing used to be an art, now it’s a science too!» (le marketing était auparavant un art, désormais c'est aussi une science). Sans transformer les équipes marketing en génies de l’informatique, l’acquisition de compétences nécessaires à la compréhension des enjeux technologiques est désormais indispensable pour défendre une marque et un positionnement sur des marchés toujours plus compétitifs.
Faut-il donc s’allier ou disparaître ? Le terme peut sembler fort, mais au regard des postes en création de Chief Growth Officer, Chief Data Officer, Chief Customer Officer..., il y a fort à parier qu’un CMO trop focalisé sur les leviers marketing traditionnels à la «mad men», se verrait cantonner à opérer une sorte d'agence de publicité intégrée à l'entreprise, avec les perspectives que l’on peut imaginer. En s’associant ainsi avec le CIO, le CMO exploitera au mieux les deux leviers clés pour le développement de l’entreprise : la data et l’expérience client. Et, grâce à ces éléments tangibles, il reprendra certainement la place qui est la sienne au sein du Comex.