Les cordonniers, les chaussures, tout le monde connaît l’adage. C’est établi, les agences sont globalement de piètres communicantes pour elles-mêmes, d’abord parce qu’elles prennent rarement le temps d’effectuer le travail de fond pour leurs clients, ensuite parce que le mythe du gimmick génial et de l’idée créatrice sortie de nulle part est tenace. C’est bien la peine de se plaindre de la baisse des budgets et de la défiance des annonceurs si l’on ne joue pas selon les règles du marché. A se croire exceptionnelles et à trop faire la roue, les agences délaissent le « faire » pour se concentrer sur un « dire » qui finit par sonner creux.
Le stéréotype des joyeux drilles alternant réunions jargonneuses et brainstormings débridés, et vivant entre jet set et ateliers d’improvisation, aura fait florès. Or ce n’est pas la réalité car le talent ne remplace pas le travail. Bien sûr, il ne faut pas confondre sérieux et professionnalisme, et nous nous devons de cultiver l’ouverture et même la décontraction, car elles sont propices à la créativité, mais en aucun cas leur fondement. Seules l’exigence et la volonté d’excellence, à tous les niveaux, peuvent garantir des propositions solides, pertinentes jusque dans leur éventuelle impertinence.
Le modèle actuel est encore trop souvent une boîte noire avec des zones de bluff : la recommandation dépoussiérée que l’on copie-colle partiellement ou même totalement, les consultants stars que le client ne voit qu’épisodiquement et qui ne travaillent pas réellement sur les dossiers au quotidien, les budgets au doigt mouillé et les bilans gonflés artificiellement… Tout cela a entamé la confiance des annonceurs qui ne perçoivent plus l’élément essentiel pour eux : la valeur ajoutée.
Sachons nous respecter pour savoir nous faire respecter
Nous exerçons une profession incroyablement passionnante et complexe, qui recouvre des métiers d’une diversité phénoménale. Nous ferions bien de commencer par nous respecter entre fonctions cousines. De la création à la gestion de communautés, du planning stratégique aux affaires publiques, de l’événementiel à l’achat d’espace, nous ne parlons pas le même langage, nos routines ne se ressemblent en rien et les profils diffèrent énormément. Or nous avons tout intérêt à trouver une harmonie et des vocables communs. Les guerres picrocholines entre branches, services et égos ont fait beaucoup de mal aux agences et aux clients, qui finissent par déconsidérer toute la profession.
Pire, et nous en faisons l’expérience chaque jour : sous prétexte de savoir lire et écrire, d’avoir une télé et une radio, d’avoir un compte Facebook et Instagram, nos amis, parents, voisins sont convaincus de savoir ce qu’est la communication et d’avoir un avis pertinent. Dans une réunion de Comex, personne n’ira titiller le DRH sur les plans de recrutement, la DAF sur les provisions pour risques et charges ou le CIO sur le choix de l’infrastructure logicielle. En revanche, tout le monde s’autorisera à avoir publiquement un avis sur la dernière campagne de communication…
Il est de notre devoir de rappeler que nous exerçons un métier, qui nécessite une formation, qui se polit par l’expérience et par les nourritures intellectuelles, qui s’appuie sur des techniques et des savoirs éprouvés. Sans cela, toutes les larmes de crocodile ne rendront pas notre travail lisible… et encore moins bankable !
Un couple sain sait assainir ses relations
Evidemment, on ne peut pas tout accepter des annonceurs : l’agence se doit de fixer des limites. Garder un client toxique qui épuise les équipes afin de préserver la marge brute ou bien conserver à tout prix dans son portefeuille une marque prestigieuse se révèle trop souvent un calcul désastreux. Mais ne lui a-t-on pas promis la lune, le temps de la conquête ? Le syndrome Don Juan a ceci de calamiteux qu’il engage durablement dans une impasse fonctionnelle. Un couple qui dure s’établit sur la franchise et l’intégrité, en acceptant de mettre en jeu la rupture lorsqu’elle est inévitable.
Au-delà de la notion d’appareil, nous avons tous deux oreilles et une bouche, ce qui fait trois raisons de vendre du conseil. Surtout, cela devrait donner deux fois plus de raisons d’être à l’écoute des enjeux de l’annonceur, pour recevoir sa demande et surtout interpréter son besoin sous-jacent, souvent plus complexe ou diffus. Mais prend-on vraiment le temps d’expliquer ce que nous faisons au quotidien ? De comprendre les enjeux de personnes et de les rentrer dans l’équation ? Lorsqu’il n’est pas anticipé, le turnover en agence provoque des fissures dans les liens tissés patiemment. Or il faut bien l’avouer, la politique RH des agences est le parent pauvre de la profession. Quant à la gestion des talents et des savoirs, elle est aux abonnés absents.
Soyons créatifs jusque dans la collaboration avec les clients
A des fins d’affichage et pour accoler « conseil » à leur qualité d’agence, trop nombreuses sont les sociétés qui ont appliqué la notion de barème temps-personne à leur modèle économique. Faire jeu égal avec les grands cabinets de conseil, voilà qui promet la gloire ! En réalité, cela revient surtout se plier aux acheteurs qui cochent des cases. C’est faire rentrer au forceps des sommes en face de compétences et de temps prévisionnels sur des bases au mieux approximatives.
L’autre travers de cette analyse fonctionnelle amont, qui croit tout quantifier, est qu’elle ne mesure en rien la qualité intrinsèque ni les processus à l’œuvre. Que se passe-t-il si l’on dissèque une créature pour l’analyser en profondeur ? On obtient un cadavre ! Or nous vendons de l’analyse, une expérience, un savoir-faire, de l’audace, des performances, de la cohérence. Pour y parvenir, et c’est vital, nous devons convaincre par l’exemple et par l’engagement aux côtés de nos clients. Plaquer des grilles d’analyse toutes faites et exploiter des indicateurs standards pour évaluer les résultats est le meilleur moyen de perdre l’étincelle propre à chaque organisme.
Laissons de côté les planches anatomiques et l’éloquence au service de la plainte. Ce qui doit nous animer est une volonté d’ajustement et de symbiose pour un partenariat synonyme de valeur ajoutée. Comme dans tout duo, c’est une question d’empathie qui nécessite un travail permanent. Cela se révèle bien plus efficace et professionnel qu’alterner le show et la complainte.