Ne vous fiez pas aux quelques egos démesurés que vous pourriez croiser dans les couloirs d’une agence. Chacun et chacune d’entre-nous le savons : on ne sauve pas des vies. On peut l’oublier quelques minutes dans l’euphorie de la remise d’un prix, mais on assène aussi cette même phrase pour justifier que non, on ne fera pas cette énième charrette consécutive. On ne sauve pas des vies. Notre seule prétention est d’apporter un peu de créativité et de légèreté à la morosité ambiante. Sauf que les consommateurs ne sont pas moroses, ils exigent juste de ceux pour qui l’on bosse qu’ils règlent la dette du monde et des produits pourris qu’ils nous lèguent. Et là, forcément, ça devient plus difficile de se marrer.
Les consommateurs sont devenus chiants. Plutôt que du divertissement, ils veulent des preuves et de l’exemplarité, exigés à grand coups de tweets et d’actes d’achat (56% disent arrêter d’acheter une marque qui a un propos malheureux sur une question sociétale, selon une étude Edelman). Ils nous rappellent que clairement, nous n’avons pas élevé nos cochons en plein air ensemble. D’ailleurs, 92% des utilisateurs ont déjà reposé un produit en rayon parce qu’il était mal noté sur Yuka. Et ils sont 13 millions de personnes à utiliser l'appli. Les campagnes « belief driven » ne seront pas non plus notre juge de paix. Encore une fois, les consommateurs « fact-checkent » tout. Comme ce cousin insupportable qui vérifie sur Google chaque sujet de conversation aux repas de famille. Rien ne sert de leur servir une campagne engagée sur la masculinité toxique alors que le problème de la taxe rose n’est pas encore réglé. D’ailleurs, la campagne en question aurait fait plus de détracteurs (1,5 million de dislikes sur YouTube) que d’adorateurs (800 000 likes).
Communication remontante
Les consommateurs sont devenus chiants, encore plus quand ils ont moins de 30 ans. Punk is clearly dead. Ils préfèrent rester sous leur plaid que se déglinguer la tête à l’alcool. Le modèle familial est re-devenu une valeur forte. Plus de rébellion là non plus. Et quitte à gueuler, ils le font pour défendre le climat. Leur modèle aurait pu être prix Nobel de la paix à 16 ans si les adultes n’avaient pas déclaré que c’était trop jeune. Pour ceux fraîchement actifs, ils préfèrent quitter très vite le milieu des agences ou de l’annonceur, lassés d’encourager une fast-consommation qui n’est définitivement pas dans leurs valeurs. La consommation est devenue une « dévaleur ». Quitte à consommer à outrance, autant faire un pied de nez à l’industrie. C’est ce qu’assume Diesel en faisant la promotion du « wardrobing » dans sa dernière campagne.
Un peu de sérieux. Il n’est pas question de réinventer notre façon de travailler mais plutôt de se recentrer sur l’essence même du métier de « public-cité ». Parce qu’à la base c’était ça : l’obligation des spécialistes des droits civils de rendre public leurs décisions. Soit de rendre public ce qui est de l’intérêt de la cité. Et ce postulat n’est pas uniquement descendant. La communication doit être remontante, exercer, tant que faire ce peut, un contre-pouvoir. Croyez-le ou non, selon la même étude Edelman sur les 15-35 ans, 37% estiment que les marques ont de meilleures idées que le gouvernement pour résoudre les problématiques d’un pays et 48% que les marques peuvent faire plus qu’un gouvernement pour résoudre des problèmes sociaux.
Du coup, cela pose la question suivante : sachant qu’en France, une femme sur dix affirme ne pas changer de tampon ou de serviette assez régulièrement à cause du prix de l’hygiène intime, n’attend-on pas d’une marque idoine qu’elle fasse du lobbying pour pousser la gratuité de ces produits, comme commencent à le proposer certains membres des gouvernements ? Cette posture dépasse certainement notre statut initial, pourtant elle nous est demandée. L’enjeu reste de le faire entendre dans les hautes sphères, car tous les dirigeants n’ont pas l’engagement d’un Alan Jope, pour ne citer que lui… Les consommateurs sont devenus chiants, et on les en remercie.