Chronique

Certaines invitations réservent des surprises. L’autre soir, on m’a invité à passer le mur du son binaural dans un MK2. L’expérience s’annonçait alléchante, même si, arrivant avec quelques minutes de retard, elle consista d’abord à trouver une place dans un noir que seul Soulages (dont je vous recommande le musée à Rodez) aurait su apprécier.

Après de multiples « Oh ! Pardon Madame, oups, excusez Monsieur », je finis par trouver une place et, bêtement conditionné par le lieu, j’attendis les pubs, la bande-annonce et le film… Après de longues minutes, il fallut se rendre à l’évidence : rien ne se passerait. J’étais visiblement entouré d’une assemblée de spectateurs complices d’un « restez-là, il n’y a rien à voir ». « Mère-grand, que l’écran est noir ! », m’exclamai-je intérieurement. Mes voisins semblaient chuchoter en chœur : « C’est pour mieux écouter, mon enfant. »

C’est à ce moment-là que la voix de Bashung se fit entendre ! Elle était chaude et grave. Alain était là avec ses potes, parlant de son travail, de sa vie, de ses amours et de ses peines. Il y avait même la voix de Fanny Ardant, envoûtante. Le son « binaural » commençait à faire son effet. Je me surpris même à espérer que rien ne soit projeté sur l’écran. Nul besoin de voir, il suffisait d’entrer dans le silence pour mieux écouter, mieux sentir.

Depuis cette expérience, je cherche à comprendre pourquoi, ce soir-là, j’ai vu Bashung beaucoup mieux que s’il avait été présent. Pourquoi l’essentiel est-il si invisible pour les yeux ?

J’ai découvert que le son n’aimait pas rester seul. Via l’oreille interne, il pénètre au cœur du cerveau jusqu’au thalamus, irriguant le cortex et toutes les zones adjacentes. Un peu comme s’il cherchait des amis. Le son relie, unit et unifie. J’ai aussi découvert que, de Duchamp à John Cage, en passant par Xenakis, de nombreux artistes ont exploré l’extraordinaire faculté du son à produire des images. Et la technologie d’aujourd’hui, nous permet de voyager à l’intérieur d’une image sonore et d’un silence qu’ils ont tant cherché.

La revanche du son

Le mixage binaural est une véritable démocratisation de l’expérience sonore. Il permet à chacun d’entendre non seulement les panoramiques faisant passer le son de gauche à droite, mais aussi la profondeur d’avant en arrière que procure une écoute 3D immersive. Battu au 20ème siècle par l’image, le son saura-t-il prendre sa revanche au 21ème ? C’est plus que probable. 90 % des utilisateurs de portables utilisent les messages vocaux et, dès 2020, 50 % des recherches se feront à la voix. Déjà 4 millions de Français (6 % de la population et 8,5 % des internautes) ont été séduits par la promesse du « vocal ». Les initiatives de production se multiplient du côté des marques : Gecina avec « The Urban », Figaret avec « Mouiller la chemise » ou Hermès avec « Le Faubourg des rêves » ; du côté des studios : Lauren Bastide avec Nouvelles Écoutes, ou Paradiso avec « Le Grêlé, affaire non classée » ; enfin, du côté des éditeurs classiques : en 2017, Canal+ diffuse Calls, une série sonore de 10 épisodes, et Arte, avec Les braqueurs, propose une immersion au cœur du grand banditisme.

Bref, on n’arrêtera pas le son ! Il reste maintenant à créer de nouveaux espaces d’écoute. Le cinéma n’est pas adapté à ce type d’expérience. Des « Sound Lounge », mi-planétarium - mi-espaces détente, restent à imaginer. Des espaces circulaires dans lesquels on pourra écouter les podcasts la tête dans les étoiles. Beau travail de design en perspective !

J’espère que Bashung ne m’en voudra pas d’avoir emprunté le titre de cette chronique à l’un de ses potes. Grâce à lui, et à Universal, j’ai pu mesurer toute la puissance du son binaural. Une petite entreprise qui, elle, ne connaîtra pas la crise.

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