Chronique

J’ai pleuré devant Notre-Dame en flammes. Sur mon vélo, à l’arrêt, sidéré, tétanisé. Sur les quais, face à la cité, oui, j’ai pleuré.

Je n’avais pas encore ouvert le livre Une autre fin du monde est possible de Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle, qui attendait sagement sur ma table de chevet mon courage à retrouver les trois collapsologues et les bouffées d’angoisse auxquelles je m'exposerais inexorablement. (Vous avez lu Comment tout peut s’effondrer ?).

Dans ce livre, ils n’interrogent plus les faits d’un effondrement à venir mais la dépression qui envahit chacun face aux catastrophes écologiques et climatiques, la perte, le deuil à traverser pour se libérer et appréhender notre monde tel qu’il vient et abandonner celui qui nous est familier. Notre résilience en fait.

Notre-Dame brûlait et je me sentais profondément bouleversé. Le lendemain, les informations rassurantes sur le bâtiment, les objets sauvés, s’accompagnaient de nouvelles sur la générosité de donateurs tombés du ciel (entreprises et particuliers) accourant pour offrir leurs dons et avec eux l’idée de réparer, reconstruire, relever Notre-Dame. La rassurante image de « rien n’est arrivé ».

Des dons et des questions

Puis, des voix se sont faites entendre, dissonantes, impertinentes, agaçantes. Parlant de poids et de mesures et égrenant d’amères questions : « Combien ça vaut ? » Combien ça vaut un mort dans la rue ? les noyés en Méditerranée ? l’effondrement d’un immeuble marseillais avec des gens dedans ? Et d’autres : la planète est en surchauffe, la biodiversité s’effondre, il faut brûler quoi ? qui ? pour capter l’attention, passer à l’action ? trouver du pognon ???

Ça vaut combien une espèce animale ? une variété de fleurs ou de coraux ? Que devons-nous brûler pour être entendus ? répétaient, de leurs côtés, les plus radicaux des Gilets jaunes.

 Vous souvenez-vous de cette phrase prononcée en 2002 par Jacques Chirac au sommet de la terre de Johannesburg : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs… ». Tiens, marrant c’est Nicolas Hulot, son conseiller d’alors qui lui avait soufflé la formule. Choc.

Il n’existe pas de hiérarchie des émotions et personne ne peut prétendre, je le crois, juger, comparer son émotion à celle de l’autre. Mais comment analyser le lien entre ces émotions et les passages à l’action qu’elles peuvent susciter ?

Pour un Giec du comportement

Jacques Fradin, docteur en neurosciences, fondateur de l’Institut de médecine environnementale et spécialiste du stress, décrypte bien le lien entre émotion et agissement. Pour notre cerveau, explique-t-il, le court terme l’emporte toujours sur le long terme, la perte sur le gain. « Dans ce monde qui se prétend rationnel, on est donc plus enclin à agir devant le drame à réparer que dans l’anticipation d’un drame à venir. »

Aujourd’hui, les climatologues du Giec ont réussi à faire consensus au niveau international sur les faits scientifiques. Il n’y a plus de doute sur la responsabilité des activités humaines sur le dérèglement climatique. Les technologues savent parfaitement ce qu’il faut faire et financer pour l’enrayer. Reste à partager l’information, la prise de conscience et accompagner la décision. Les comportementalistes, éducateurs, psychologues, communicants, doivent urgemment échanger avec les scientifiques pour dénouer ce nœud qui nous entrave, notre difficulté très humaine à agir avant les drames et notre fascination morbide à voir venir le chaos. Avec Jacques Fradin, nous travaillons à croiser ces connaissances, ces sciences, pour outiller la communication des décideurs politiques et économiques. Nom de code du projet : Gieco (le Giec du comportement). C’est de notre responsabilité, communicants en quête de méthodes et de modèles, à nous engager. C’est une terre vierge à découvrir.

Ne restons pas à pleurer sur le quai.

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