Vous avez remarqué le coup de com incroyable du mouvement des gilets jaunes ? Acte 1, Acte 2, Acte 3… truc de dingues, on est accrocs comme à une série Netflix. Épisode par épisode, ils vont nous emmener à la saison 2 et on sera repartis pour un tour, fascinés, les yeux qui piquent, l’envie d’aller se coucher et pourtant toujours scotchés à attendre la suite de la tragicomédie.
Le mouvement s’est imposé comme un produit télévisuel. Nourri d’ailleurs par les chaînes d’info continue qui ont immédiatement décelé le filon : du feu, des larmes, des gentils et des méchants. Des personnages dévoilant, au fil du temps, leurs parts d’ombre et de lumière, leurs actes de bravoure et leurs fragilités. Comme nous. C’est le secret de cette écriture. De son succès. Les héros nous ressemblent. Ils sont faillibles, sentimentaux, bavards, mal élevés, héroïques… Ils s’épanchent, se pavanent, chutent, se blessent… meurent bientôt ? Attendons la prochaine saison.
Rejet, suspicion et tensions
Lors d’une récente intervention publique, Lucas Menget, directeur adjoint de la rédaction de Franceinfo, raconta comment la rédaction, prenant conscience du piège de ce format narratif, a pris la décision de ne plus faire référence à ce décompte (Acte 6, Acte 7…) pour en briser la logique, l’attente consciente ou inconsciente du prochain épisode de violence. Intelligent. Mais ce mode de narration peut servir d’autres causes, d’autres intentions.
La communication des entreprises et des marques a la très la fâcheuse tendance de vouloir inscrire dans le marbre une réalité intangible : vision, valeurs, ADN, brand essence, etc. Comme si l’enjeu du positionnement stratégique nécessitât un ancrage, un totem, superbe, immobile, au milieu des tipis, seule et unique référence de ce que l’on EST (ou plutôt ce que tout le monde doit penser que l’on est). Mais dans le monde tel qu’il va, dans l’urgence économique, sociale, écologique, ça ne marche plus ! Pire, ça crée du rejet, de la suspicion et de sacrées tensions.
Pourtant, il y a d’autres approches. Celle du Grand récit [lire Le Petit Manuel du Grand récit publié par Sidièse] raconte l’entreprise ou la marque comme une aventure, une épopée collective qui se nourrit des époques qu’elles traversent, de leurs victoires et de leurs échecs. Dans ces histoires-là se retrouvent des épisodes tels les chapitres d’un roman, les livres des grands mythes qui ont forgé les cultures et les civilisations humaines. Les marques, les entreprises sont comme nos personnages de séries : faillibles, fragiles, courageuses, héroïques. Accessibles en fait. Si le citoyen est de plus en plus sourd aux discours des entreprises, il a peut-être une bonne raison. Leur histoire ne correspond plus à ce besoin de proximité, d’humanité, de ressemblance peut-être.
Les marques ont besoin d’aventure
Alors que le monde, nos sociétés, bougent si bruyamment, que les modèles sociaux et économiques doivent être revisités fissa, que les entreprises elles-mêmes sentent qu’elles doivent changer de logiciel pour entrer dans la course d’une transition complexe et dangereuse (pour leur business), comment ne pas être tenté de raconter l’aventure plutôt que les « statements » éculés dès leur validation ? C’est dur à admettre pour nous, communicants, Avec nos tics de l’éloge, du beau, du bien coiffé, nos habitudes de peaufiner, de graver dans le marbre, notre résignation à gommer, à mettre sous le tapis, à parer tous les coups dans nos Q&A’s semi-autistes, simulant la propreté, l’exemplarité.
Et si dans nos recommandations, nous nous inspirions des séries, où les héros ne sont pas blancs comme neige ? Encourageons les marques, les entreprises à raconter leurs échecs, leurs incohérences, aux côtés de leurs prouesses et leurs convictions. À parler de ce qu’elles ratent, font mal, se reprochent à elles-mêmes. Non, ça ne fait pas rêver mais ça fait tendre l’oreille et… peut-être même que ça fera bouger la marque, l’entreprise, en mieux, en plus bénéfique pour le monde. Osons le saut dans l’imperfection. Au moins, essayons, peu à peu. Pour apprendre.