Tribune
En choisissant pour égérie Colin Kaepernick, l’ancien quarterback connu pour ses prises de position anti-racistes, la marque au Swoosh a compris qu’il fallait mieux perdre une partie identifiée de ses consommateurs que de risquer le phénomène de rejet global.

Depuis que Nike défraie la chronique avec son nouveau choix d’égérie (Colin Kaepernick, l’ancien quarterback des 49ers de San Francisco, connu pour ses prises de position anti-racistes), les camps des pour et des contre se défient sur les réseaux sociaux. Déclarations humanistes contre immolations de sneakers. Brûler ses chaussures face caméra pour rompre avec sa marque favorite, voilà un drôle de signe des temps.

C’est encore très tôt pour en mesurer l’impact sur les ventes et sur la valorisation boursière (à court terme, le résultat est positif). Mais ce n’est pas le sujet qui nous intéresse ici. Ce qui interpelle, c’est qu’une marque qui a réussi à être n°1 mondial fasse aujourd’hui un choix absolument clivant. Elle est le symbole même de ces marques américaines dont on a tant observé et étudié la globalisation, dont on a critiqué l’impérialisme parfois, le manque d’éthique souvent.

Plusieurs décennies d’efforts et d’investissements sans faille pour toucher l’universel, pour confirmer son statut de Global Brand, pour atteindre la première place des marques de mode au classement Interbrand (entrée dans le top 20 tous secteurs confondus). Coup de tonnerre : un beau jour de septembre 2018, elle choisit de se couper de la moitié de ses racines. Chez elle, dans son propre « jardin ». De quoi déstabiliser tout marketeur normalement constitué, tout communicant maîtrisant ses gammes…

Les millennials bousculent tout

Une marque peut-elle sciemment aller contre l’opinion et les valeurs d’une partie de son public ? Eh bien oui, il faut croire. Car Nike a compris qu’il vaut mieux perdre une partie identifiée de ses consommateurs que de risquer le phénomène de rejet du géant : ces titans devenus trop lisses, trop universels pour rester intéressants. Nike mis à part, les grands ténors mondiaux disparaissent du palmarès des marques favorites des jeunes générations. H&M, Coca, Mac Do... semblent ne plus les intéresser, peinent à parler leur langage et basculent vite dans la catégorie fatale de « marques de vieux ». Pourtant, ces mastodontes ont ardemment travaillé, conjugué le global, le glocal, le transnational pour atteindre le Graal : être enfin aimés de tous, malgré les frontières, malgré les cultures, les générations, le genre, le style de vie... Un jour enfin, ils sont devenus consensuels, de véritables icônes, ils ont atteint le statut d’institutions.

Nike a compris que les millennials bousculaient tout sur leur passage. Les repères marketing, les codes sociaux… et surtout les institutions. Ils attendent des marques des engagements forts, des actes plus que des discours, à l’instar d’Asos, qui s’apprête à lancer, avec ses consommateurs, une co-marque vegan, inclusive et genderless. Après avoir réussi la globalisation comme personne, la marque au Swoosh reconstruit une segmentation. Une segmentation aspirationnelle, basée sur une transnationalité de valeurs. En recréant ainsi de la rugosité, elle a un point de vue à défendre, elle entre dans le débat et évite clairement un unanimisme mortifère. Elle est « dans le game ». Une ambition plus que jamais mondiale certes, mais pas banale.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.