«Tout se dit, tout se sait en temps réel», «être “googlelisé” avant un rendez-vous», «tout savoir et même ce que l’on a pas à savoir»… L’entreprise et, avec elle, les relations humaines professionnelles basculent aussi dans la mode du voyeurisme ambiant alimenté par les bien-pensants de la pensée unique, ce corporate qui vante les start-up et standardise les discours…
Aller sur le terrain de la légitimité de la transparence, c’est prendre le risque d’un procès en ringardise: comment peut-on se questionner sur un sujet qui envahit tous les espaces de nos vies, à commencer chez les jeunes salariés, qui ont banni la frontière entre vie personelle et vie professionnelle? Bien au contraire, la question du pourquoi de la transparence est sûrement l’une des questions les plus responsables face à une explosion des us et coutumes. Le droit de savoir, de partager et d’évaluer est de loin l’une des plus belles victoires offertes à chacun par le digital. Ce droit est désormais acquis et c’est une bonne chose.
De l’intérieur vers l’extérieur
La tentation est grande de faire de l’entreprise un «objet de consommation» comme un autre, avec de faux postulats pour légitimer le raisonnement: dans l’entreprise, tout est opaque, on y fait l’inverse de ce que l’on revendique, les beaux discours sur les valeurs s’apparentent à de la langue de bois… De là à élever la transparence en procureur de la bienséance en entreprise, il n’y a qu’un pas. Et l’entreprise est toute désignée pour aller sur le bûcher de cette nouvelle inquisition. L’époque veut laver plus blanc que blanc alors que l’entreprise, prise dans un tourbillon de changements divers et variés, doit relever des défis inédits de digitalisation, d’intégration de nouvelles générations «mutantes», de langage par l’image… Si la transparence devient un aspect du sociétal, l’entreprise ne doit pas se soumettre pour autant à ce nouveau dogme pour espérer être reconnue, elle doit au contraire saisir l’opportunité pour affirmer, revendiquer et afficher son exclusivité. La transparence ne consiste pas à être comme tout le monde, penser, vivre comme tout le monde. L’entreprise a ses standards qui ne doivent pas se soumettre aux modes du moment. En revanche, elle doit apprendre à se donner à partager de l’intérieur vers l’extérieur en n’ayant pas peur de publics qu’elle ne peut pas maîtriser. Ce voyage de l’intérieur vers l’extérieur lui permettra d’être vraiment elle-même et non le colporteur des slogans utilisés par tous. Elle doit reconquérir aussi un droit qu’elle n’aurait jamais dû abandonner, celui d’être culturellement discriminante en permettant à autrui de se sentir en phase ou non avec ce qu’elle représente.
Assumer ses qualités… et ses défauts
Jamais être soi-même n’a pris autant de sens que dans ce monde banal qui lime les moindres aspérités au nom d’une inclusion identitaire. La transparence est de fait un big bang qui impose de repenser le sens même de la communication au profit d’une identité, une et indivisible, censée fédérer, motiver et sélectionner sans jamais rejeter. Il ne s’agit plus de communiquer pour prouver, mais bien de partager pour exister. Les salariés, hier ambassadeurs, deviennent des influenceurs en puissance qu’il faut libérer; les clients, hier rois, deviennent des hôtes de marques en quête d’hospitalité et non plus d’expériences de gogos; les candidats ne sont plus des compétences sur pattes, mais des humains à embarquer dans un vrai projet culturel… La transparence a cela de bon: elle impose à l’entreprise de s’assumer avec ses défauts et ses qualités, ses rêves et ses espérances. Elle ne peut plus se contenter de parler d’éthique, de sens, de valeurs, tout est dans l’action et dans la preuve. Nul n’est parfait en ce bas monde, l’admettre, c’est déjà un formidable progrès. La nouvelle parole de l’entreprise est plus que jamais responsable. Question de culture, bien sûr.