Le 1er janvier 2017, le droit à la déconnexion est entré en vigueur dans le cadre de la loi El Khomri (article 55). Encore un chapitre ajouté à notre Code du travail… Son objectif est d’imposer aux entreprises de plus de 50 salariés une régulation des communications entre les salariés (e-mail, SMS, messageries, etc.), en particulier hors des heures de travail. L’idée est de réaffirmer la défense d’une frontière menacée entre vie professionnelle et vie privée. L’intention semble à première vue claire et même empreinte d’un certain bon sens: nous avons tous reçu cet e-mail ou ce SMS intempestif et stressant au cours d’un week-end ou pendant nos vacances.
Le «vrai sujet» est pourtant ailleurs. La digitalisation accélérée des entreprises est venue modifier en profondeur le travail et le rapport de chacun à son entreprise, à son manager, à ses collègues… Le digital a provoqué une accélération de l’ensemble des processus qui animent l’entreprise. L’instantanéité est bien souvent devenue la norme, induisant une connexion quasi-permanente de nombre de salariés: e-mails, SMS, messages Whats App, qu’ils soient privés ou professionnels, se sont ainsi installés dans notre quotidien à mesure que de nouveaux modes de travail (comme le télé-travail) se généralisaient. La frontière qui sépare notre vie privée de notre vie professionnelle s’efface peu à peu.
Sensibilisation au bon usage des outils digitaux
Mal gérée, cette mutation des comportements peut devenir une réelle source de stress, comme elle peut ouvrir la porte à des comportements pervers, assimilables à du harcèlement. Il serait cependant ridicule, voire caricatural, de vouloir faire de ces dysfonctionnements la norme. La très grande majorité des professionnels sont – heureusement pour nous – des gens normaux et sains, dont l’objectif principal est de bien faire leur travail, de façon loyale envers leurs collègues et leur entreprise. Leur utilisation des outils digitaux correspond alors à un besoin opérationnel ou à leurs choix d’organisation. Ainsi, si certains préfèrent traiter leurs e-mails le dimanche pour être moins stressé la semaine suivante, ils tirent profit des outils digitaux pour améliorer leur bien-être professionnel. Si l’on n’impose pas aux autres ce mode de travail, cette liberté de choix représente un facteur positif de bien-être au travail.
On peut dès lors se demander si le véritable enjeu n’est pas simplement la sensibilisation au bon usage du digital. Il faut tout d’abord savoir interagir en respectant les règles d’usage et de bienséance. L’éducation et la politesse sont des valeurs qui reposent sur l’éducation et non sur la loi. Au sein d’une entreprise, la ligne hiérarchique doit être garante des comportements au sein d’une équipe, cela fait partie de ses attributs directs, c’est donc à elle d’intervenir s’il y a des dérives. Plus largement, pour bien les utiliser, il convient «d’apprivoiser» les outils digitaux. Cela nécessite d’établir un état des lieux précis de la maîtrise des compétences digitales des collaborateurs au sein des entreprises. Pour faire du digital un réel instrument de performance, la formation et l’appropriation de ces outils est indispensable.
L'opportunité de travailler mieux
Dans la plupart des entreprises, le dialogue social est intense et équilibré, et non aussi conflictuel que certains esprits chagrins aiment à le faire croire. La résolution des problèmes s’appuie ainsi sur la réalité de l’entreprise en prenant conjointement en compte les besoins opérationnels et les aspirations des collaborateurs. Il est grand temps de faire confiance aux femmes et aux hommes qui font vivre nos entreprises. Si la ligne hiérarchique n’est pas suffisamment efficace pour imposer des règles de fonctionnement, les instances déjà présentes dans l’entreprise doivent pouvoir jouer le rôle de corde de rappel.
A l’heure où les outils digitaux permettent aisément de connaître et de «monitorer» la satisfaction et le bien-être des managers et collaborateurs, il est alors pour le moins étrange d’avoir recours à la loi pour imposer des pratiques qui affectent directement le bien-être au travail.
On le voit, le digital est une opportunité inédite pour les entreprises et le monde du travail en général. L’entreprise a la possibilité de se réinventer, de réinventer son organisation et la façon dont ses collaborateurs interagissent. Un bien-être accru peut découler de cette mutation: le digital n’est pas forcément synonyme de «travailler plus» mais aussi, et surtout, de «travailler mieux» (à distance, de façon moins formelle, plus souplement…). Dans cette optique, pouvoir se connecter en tout lieu et à un moment que l’on choisit est une chance et, pourquoi pas, un droit. On ne peut plus, en 2017, continuer d’opposer systématiquement le travail au bien-être.
Le monde change. Les millions de «digital natives», qui commencent à investir le monde du travail, peuvent-ils comprendre une telle loi? Pour eux, être connecté est une évidence, tout comme la liberté de choisir avec qui, pourquoi et quand ils travaillent.
Une réponse inadaptée à un problème de société
Cette loi serait le rempart contre un travail intrusif et «envahisseur». Nous sommes face à un mal bien français qui prête de plus en plus à sourire. Au lieu de nous adapter à un monde qui change afin de réguler les effets de ces évolutions, pour le bien du plus grand nombre, nous essayons de créer des digues bien dérisoires. Ce n’est pas en nous enfermant dans un cadre rigide et monolithique que l’on résoudra un problème de société qui dépasse largement l’environnement du travail. Comment une réponse unique et aussi peu nuancée peut-elle être adaptée à la grande diversité des situations individuelles? Pourquoi imposer une loi dont la dimension coercitive n’échappe à personne même si aucune peine ou amende n’est prévue à ce stade?
Pourquoi légiférer sur une telle question? Pourquoi la loi ne peut-elle être un cadre qui viendrait définir des grands principes et laisserait les acteurs de la vie économique libres de fixer les termes précis des règles qui les régissent?
Il est temps de regarder la réalité en face: la France n’est plus le centre du monde, elle doit se «battre» pour continuer à être attractive. Quelle image donnons-nous une fois de plus à d’éventuels investisseurs qui étudieraient l’opportunité de venir s’installer et créer des emplois en France?