L’influence est fascinante, car elle nous permet de toucher du doigt les démons les plus sombres ou les plus inconnus de notre personnalité. Vous avez probablement entendu parler de l’expérience de Salomon Asch, ce psychologue polonais passionné d’influence de groupe qui décida dans les années 1950 de confronter ensemble huit personnes, dont sept complices, à un même test. A gauche, une feuille avec un trait. A droite, une autre feuille avec trois traits de longueurs différentes. Charge aux interviewés de dire précisément l’un après l’autre quel trait de droite est la copie conforme du trait de gauche. Facile. Après quelques rounds d’échauffement où tout le monde donne la bonne réponse, le piège se referme. Les complices désignent volontairement tous un trait beaucoup plus grand que le modèle. Que fait le seul à ne pas être complice? Dans 32% des cas, il donne la même réponse fausse que ses camarades. La force de l’influence.
Ne pas vouloir être exclu de la norme sociale nous pousse parfois, tous, à accepter d’aller à l’encontre de nos convictions, à accepter des contre-vérités. On déteste s’avouer que l’on est influençable. Au fond de nous, nous savons que nous le sommes.
Ne pas cacher la dimension marketing
Les stratégies d’influence, elles, nous plongent parfois dans la face sombre du marketing. Dans ce qu’il a de plus manipulateur, dans ce que nous-mêmes, professionnels de la promesse, de la raison de croire, abhorrons. Les gros sabots. L’influence à deux balles. Les marques ou les influenceurs prêts à tout. La manipulation grotesque. Un des exemples les plus sournois reste le texte pseudo-écrit par une star internationale, en réalité par la marque, qui sera ensuite tweeté par le community manager de la personnalité. Sans même qu’elle le sache, on imagine. L’an passé, celui de Naomi Campbell a par erreur copié-collé dans un tweet l'e-mail entier écrit par Adidas, dans lequel la marque lui conseillait le texte à communiquer. Tout le monde n’est pas dupe, mais la manipulation était ici devenue visible aux yeux de tous. Vous savez quoi? C’était pathétique, mais ça en devenait presque rafraîchissant. Il n’y a rien de plus rassurant de voir tout cela échouer. De voir les consommateurs se révolter. De voir la vérité l’emporter.
Notre rôle est de créer des relations plus honnêtes, plus justes, plus respectueuses entre les marques et les consommateurs. C’est le sens de l’histoire et les stratégies d’influence ne doivent surtout pas y échapper. Les pratiques trompeuses ou qui manquent de sincérité devraient disparaître. Qui a encore envie de voir exister les publi-rédactionnels? Qui ne les juge pas anachroniques? Une publicité ne devrait pas se cacher. Un publi-rédactionnel espère manipuler tout en s’achetant une virginité discrète, en haut à droite, en corps fin, dans une couleur délavée. Qui a envie que son frère, sa mère, sa fille se fasse berner?
A l’influence sournoise, nous devons préférer une influence saine, empreinte de justesse et de vérité. Avec des influenceurs qui aiment vraiment les produits qu’ils revendiquent. Et ne cachent pas la dimension marketing de leur démarche.
Aux Etats-Unis, où la réglementation est toujours un peu extrême, la FTC (Federal Trade Commission) traque avec toujours plus de sévérité ceux qui ne respectent pas les règles assez élémentaires d’honnêteté intellectuelle entre une marque et ses consommateurs. L’an passé, elle a sanctionné Lord & Taylor, distributeur fashion qui avait rémunéré 50 instagrameuses chargées de valoriser une robe, sans qu’aucune ne spécifie très précisément que c’était dans le cadre d’un partenariat. La robe s’est trouvée très rapidement en rupture de stock. La force de l’influence. Aurait-elle eu moins de succès si les consommatrices avaient eu connaissance de la dimension commerciale du deal? Pas sûr. On s’accordera tous à dire qu’on ne veut pas arriver à une situation où des mentions légales envahiraient les posts des influenceurs partenaires, mais avouons tout de même que le sujet offre matière à réflexion.
Puissance positive
Lorsqu’elle est saine, l’influence dégage à l’inverse toute sa puissance positive. On aime suivre dans leur avis les centaines de personnes qui ont trouvé «excellent» l’hôtel dont on vérifie le profil sur Tripadvisor. On embrasserait presque les dizaines de personnes qui n’ont mis qu’une étoile au jouet qu’on s’apprêtait à offrir à Noël.
Quand Pharrell revendique un partenariat avec une marque, que ce soit Moncler ou Vuitton, c’est complètement légitime tant il est passionné par la mode, mais ce sont en plus des projets dans lesquels il s’est investi, et à long terme. C’est un marketing de l’influence qui ne se cache pas. Pharrell emmènera derrière lui des centaines de milliers de fans qui deviendront peut-être des consommateurs, mais ils sauront que les produits et les marques sont, sans discussion possible, ancrés dans son univers, celui qu’ils aiment.
Nous sommes tous sous influence, perpétuellement dans nos vies personnelles. L’influence de nos amis, des personnes que l’on admire, de l’air du temps. Mais ce sont nos vies personnelles.
Notre responsabilité, et les consommateurs seront toujours là pour nous le rappeler, c’est de faire en sorte que le marketing que l’on propose soit, lui, toujours plus empreint de vérité.