L’hôtellerie de luxe, barricadée derrière les murs prestigieux de ses établissements historiques, affronte désormais les passe-murailles de la désintermédiation. TripAdvisor et Booking.com empruntent la porte du service instantané, et s’invitent dans ces beaux hôtels bien avant que le choix de la destination soit déterminé. Airbnb, de son côté, propose le monde entier au plus près de l’art de vivre local. Ces adresses internet mettent à mal les adresses d’exception de la tradition hôtelière. La nouvelle expérience du luxe commence chez soi, assis dans son canapé, lorsque sont consultés les sites de réservation où le plaisir s’anticipe à l’aune des recommandations des voyageurs ou des étoiles attribuées. Des mois avant le séjour, il s’agit alors de susciter le désir, comme les préliminaires d’un plaisir ultérieur.
Ces nouvelles pratiques conduisent les acteurs de l’hôtellerie à revoir, outre la qualité de l’offre et du service, deux leviers majeurs : la reprise du contrôle de l’écosystème digital et l’attention portée au récit des marques tout au long du parcours des clients. Le continuum de l’excellence ne leur laisse aucun répit.
L’environnement digital, la puissance de recommandation des réseaux sociaux, les enjeux du CRM les conduisent à apprivoiser les nouveaux contenus et territoires d’expression de la relation individualisée. Il s’agit de créer les conditions d’une conversation franche et directe. L’iconographie et la vidéo y tiennent une place déterminante. La présence sur Instagram, Pinterest, Snapchat… appelle à la construction d’un récit spécifique et complémentaire de celui que l’hôtel et la marque diffuseront sur Facebook, par exemple. Ce patchwork virtuel est un défi réel, celui de faire vivre le rêve au sein d’une galerie marchande hétéroclite ouverte 24h/24.
Il faut, de plus, faire avec ou plutôt compter sur l’engagement des clients prêts à poster leurs bons moments, susciter leur participation en encourageant des prises de parole favorables. Mais le discours vertical du luxe ne suffit plus à générer de l’adhésion. Les clients attendent de la réciprocité, de la considération et de l’incentive.
Le ton de voix et les thématiques développées sur Twitter ou Facebook ne peuvent plus se satisfaire du brio d’un community manager. L’actualisation régulière des contenus impose des opérations courtes et nerveuses, diffusées en ligne vers des audiences hyper segmentées et se substituent au grand film de marque. Cette nouvelle donne conduit à concevoir la trame de récits maîtrisés, déployables en de multiples séquences, selon un rythme de plus en plus soutenu. C’est le premier enjeu de plateformes de contenus qui posent les bases d’une trame narrative et d’éléments de langage cohérents avec le positionnement.
Elles sollicitent également de nouveaux « médiateurs » - blogueurs influents ou instagramers qui conjuguent leur réputation, c’est-à-dire leur nombre de followers, et l’adéquation au regard qu’ils portent sur tel ou tel sujet. Leur style photographique, leurs sources d’inspiration nourrissent la marque d’une écriture particulière en affinité avec les publics qui les suivent.
Sur place, la promesse d’accueil s’hystérise dès l’arrivée. Les leviers digitaux permettent, soit par le truchement de la fidélisation, soit par celui des profils d’utilisateurs, de personnaliser la réception du voyageur et d’entretenir un lien privilégié avec les clients. Ces marques d’attention sont une dette. Côté don, les hôteliers ne doivent transiger en rien sur une qualité d’ambiance, reliée à l’histoire et à la singularité du lieu.
L’expérience du luxe hôtelier revêt désormais deux aspects intimement liés. D’une part, la qualité transverse de service, la politique de réservation et de fidélisation, la levée de toutes les pesanteurs liées au check-in-out et le back office.
D’autre part, des implantations uniques, des bâtiments patrimoniaux ou signés par des stars de l’architecture, une politique de branding qui conjugue la puissance d’un réseau et la singularité de chaque adresse, de sa restauration, de ses équipements et de son ancrage local.
Le développement rapide des classes moyennes des pays en croissance, l’émergence de jeunes super-riches rebat les cartes. Il engage une recomposition du paysage hôtelier mondial. C’est le cas du rachat de Starwood par Marriott ou de FRHI par Accorhotels. Ces concentrations créent les conditions d’une réassurance et de légitimation dans un univers très convoité. Elles donnent le « la » d’une excellence qui se répercute sur l’ensemble des marques de ces groupes. Le plaisir de ces clients privilégiés se conquiert à ce prix.