Face à la digitalisation croissante et à la multiplication des sites d'e-commerce, la question de l’avenir des magasins s’est posée pour les marques de mode: 100% digital ou 100% physique? La réponse n’est peut-être pas aussi radicale. Le savant dosage de ces deux univers, finalement pas contradictoires, serait peut-être la clé du succès.
Le parcours classique du retail veut que les clients visitent le site, s’informent, comparent les produits en ligne puis se rendent en boutique pour finaliser l’achat. Ebay a chargé son bureau d’étude d’une analyse sur le sujet. Celle-ci, pertinente, affirme que le taux de transformation des visites en boutique est excellent: 86% des acheteurs potentiels ayant déjà visité les applis mobiles ou les sites internet des marques achètent quelque chose lorsqu’ils se retrouvent en magasin. Car ils sont nombreux, les millennials en tête, à privilégier l’expérience client en boutique.
La question n’est plus d’investir dans l’expérience 100% physique. Aussi les marques se penchent sur la bonne formule à adopter, à mi-chemin entre deux mondes qui s’attirent plus qu’ils ne s’opposent. Ce savant dosage porte un nom: le phygital, contraction de physique + digital.
Asseoir la crédibilité des pure players
Les marques ayant bâti leur réputation et leur identité exclusivement en ligne ressentent aujourd’hui le besoin de se rapprocher de leurs clients, de générer de la confiance et, bien sûr, de les fidéliser. En ouvrant leurs propres flagships «en dur», ces pure players cherchent un relai de communication plus direct avec leurs clients. Leurs boutiques deviennent alors de véritables lieux de vie et de rencontre. Elles incarnent ainsi l’une des applications les plus réussies d’une stratégie phygitale.
L’Exception par exemple, est un site de vente en ligne qui mélange griffes de luxe, jeunes designers et marques de prêt-à-porter bien établies. Son interface et son service premium sont les points forts d’une activité exclusivement en ligne, qui fait un carton. Mais pour s'«enraciner» dans le cœur de ses clients et les fidéliser plus encore, L’Exception a décidé d’ouvir La Maison L’Exception, en plein cœur de Paris.
D’autres leviers peuvent être utilisés par les stars du Net pour asseoir leur crédibilité. L’un d’entre eux, le site de vente en ligne Net-à-porter, a en effet su composer le bon «mix» en s’appuyant sur un autre relais physique: le magazine de mode. Le site a lancé Porter, un trimestriel de mode féminine, puis Mr Porter, sa version masculine. Un contenu de qualité, des plumes issues de la presse traditionnelle et un canal médiatique tout trouvé pour les marques. Les shoppeurs feuillettent les pages des magazines autant qu’ils cliquent en ligne. Un mix gagnant pour le site, qui assied sa crédibilité mode grâce à la notoriété du magazine imprimé.
Ce site n’est pas le seul à s’engouffrer dans la brèche: les initiatives récentes des «big ones» (Farfetch achète le grand magasin Browns, Zalando acquiert le salon Bread & Butter, Amazon sponsorise la première Fashion Week Homme) sont la preuve d’un besoin de s’enraciner dans le concret et le physique, d’incarner des valeurs mode, de partager des émotions, du vécu, et bien sûr une expertise stylistique.
Un ADN «augmenté», une identité emprunte de modernité
En sens inverse, les marques traditionnelles, qui ont déjà bien établi leur notoriété par la promotion de valeurs fortes, «embrassent» l’expérience digitale. Elles qui, pour la plupart, jouent sur la notion d’héritage et de tradition, réussissent par l’utilisation des nouvelles technologies à projeter leurs valeurs dans la modernité. Pas question, cependant, d’utiliser le digital sans le «connecter» à leur identité.
En 2016, la célèbre marque anglaise de boots Hunter ouvrait son flagship sur Regent Street. Un espace de 500m2, réparti sur plusieurs niveaux, pensé pour procurer à ses clients une expérience immersive à 360 degrés en plein cœur de l’univers de la marque. Son directeur artistique, Alasdhair Willis, a travaillé étroitement avec des experts en digital, et aussi musicaux, afin de créer une atmosphère in-store en symbiose totale avec l’ADN de la marque. Ainsi, toutes les 30minutes, les écrans vidéo et les enceintes transmettent dans le lieu une ambiance de pluie battante, voire de tempête, moments clés pour cette marque de bottes tout-terrain. Les clients passent de l'été à l'hiver en empruntant les ascenseurs, se changent au beau milieu d’un champ ou assistent à un événement climatique d’ampleur diffusé sur la devanture du magasin, recouvert d’un mur-écran géant.
Le magasin-média
Même constat pour l’expérience digitale en magasin de Burberry avec son flagship londonien. Installée depuis 1820 (lui aussi) sur Regent Street, la marque a réussi sa transformation spectaculaire. Une vraie mise en scène, qui gagne le pari de mélanger l'aspect traditionnel (boiseries et marbre dans les escaliers) à la plus récente modernité (écran géant diffusant des vidéos clés pour le discours de marque: défilés, actions de mécénat, concerts partenaires, etc.). Et pour prolonger l’expérience, les clients peuvent utiliser des Ipad pour designer eux-mêmes le trench de leurs rêves. Les écrans interactifs disséminés dans le magasin sont alimentés par un véritable studio, situé au sous-sol, qui sélectionne les contenus. Le flagship Burberry est ainsi devenu un média à part entière, une façon novatrice pour cette marque traditionnelle d’attirer une clientèle plus jeune.