Mobilis in mobile

Trump a été élu. Comme pour le Brexit, un vote est un vote et le peuple souverain. Vous avez dû souper du statut Facebook atterré et de l’analyse post-rationalisée. Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre comment tout le monde –ou presque, parce qu’il y a toujours des plus malins, des plus pessimistes, quelques extralucides– a pu se tromper aussi lourdement. À l’ère de la data, des réseaux sociaux, des médias indépendants… Pourquoi un tel consensus, un tel aveuglement ? Du coup, encore groggy, relevons-nous, et promenons-nous dans les voix. Mobilis in mobile: je prends mon Nautilus et pêche quatre enseignements à tirer de cette campagne pour notre nouvelle économie.

 

1. Et si le bug de l’an 2000, c’était la démocratie? Un sujet pour la #CivicTech

D’abord, les grandes villes font l’opinion mais ce sont les swing states qui font le résultat. Le reste du pays –pour reprendre l’expression inventée par Fox News pour Paris et sa banlieue–, de simples «no go zones», abandonnées. À l’ère de la «customer ou user centricity», la «citizen centricity» ne triomphe pas, le système est tel qu’on survalorise la voix de certains.

Ensuite, le modèle politique nécessite des leaders d’exception, le fameux homme/femme providentiel(le), devenu(e) seul(e) valeur refuge face à notre sentiment de perte de contrôle sur le monde et son avenir. On élit ainsi des humains pour les détester aussitôt en leur reprochant leur manque de vision ou de résultats alors que les programmes ne sont jamais le véritable sujet du débat. Un peu comme si on recrutait en faisant fi de la fiche de poste.

Enfin, les modes de décisions n’ont plus rien à voir avec la complexité du monde qui nous entoure: on vote en une fois pour le Brexit, en une fois pour un programme présidentiel qui va engager le pays pour les quatre ou cinq ans à venir. Comment décider de cette façon ce qui doit conditionner des décennies?

 

2. Retour à la case départ pour le web en politique.

Depuis mes débuts professionnels, j’ai aimé les campagnes présidentielles, les américaines et dans une moindre mesure les françaises, car c’était à chaque fois le meilleur de mon métier et de mes passions qui s’y précipitaient, comme dans une éprouvette.

2000, invention du vote swapping pour pousser Ralph Nader sans nuire à Al Gore et surtout, les bannières étant encore reines, une bien meilleure campagne des républicains alors encore bien plus connectés que les démocrates.

De 2004, on retient les primaires et Howard Dean, candidat démocrate et digital, qui se saisit des plateformes Moveon.org et Meetup.com comme personne avant lui. En gros, c’est la démocratie participative et ses logiciels. On les retrouvera chez Ségolène Royal et son Désir d’avenir quelques années plus tard.

2008, Facebook et Twitter existent enfin et Barack Obama emmène le crowdfunding à un niveau hallucinant pour doter David du budget de Goliath.

2012, c’est la big data, les data scientists de la Silicon Valley s’envolent vers Chicago, rallier le siège de campagne d’Obama. Et c’est l’A/B testing systématique de tous les éléments de campagne, qui est porté à un niveau sans aucun équivalent jusque-là.

Mais, en 2016, c’est le retour à la base de la pyramide de Maslow: obsession cyber-sécurité. E-mails d’Hillary Clinton, attaques russes, leaks de Wikileaks… Internet est partout, s’il ne fait plus gagner aucun candidat, c’est ma certitude, il peut en revanche faire perdre. À méditer pour nos entreprises.

 

3. Méfions-nous de l’eau qui dort, de ceux qui bloquent

Tous les sondeurs se sont magistralement plantés. Pourtant, leurs méthodes sont éprouvées, ils ne sont pas devenus subitement incompétents. Que s’est-il passé? Ceux qui se taisent et refusent de répondre ne sont pas indécis ou répartis équitablement entre les différents camps: le biais est évident. Les modérés, ceux qui «font avec le système» l’acceptent, ceux qui le refusent sont en colère et le fait qu’ils ne l’expriment pas les rend paradoxalement bien plus puissants. L’analogie avec les ad-blockers est pour moi évidente: comme nous l’avons démontré dans une étude récente avec Fabernovel Data & Media, les utilisateurs d’ad-blockers sont de façon étonnante ceux qui ont le meilleur potentiel de conversion. Les marques ont donc le sérieux problème que ceux qui sont les plus enclins à acheter leurs produits en ligne sont aussi ceux qui les fuient. Tout comme les sondeurs passent désormais à côté de ceux qui ont les opinions les plus arrêtées.

 

4. L’intelligence artificielle (IA), entre cauchemar et antidote

Cette élection aura démontré que l’IA est bien le sujet de notre siècle: les phases précédentes n’ont existé que pour permettre son avènement. D’abord, il faut souligner qu’au moins deux initiatives de machine learning, Mog IA et Eagle AI (développé par Havas Cognitive) avaient prédit la victoire de Trump, sur la base de données issues de sources diverses mais en particulier des réseaux sociaux. Contre tous les instituts de sondage.

Mais, encore plus frappant: qui est la seule figure de la Silicon Valley, et plus largement du camp des «modernes», à avoir pris fait et cause pour Donald Trump? C’est Peter Thiel, dont je vous parle souvent ici. Parrain de la Paypal mafia et cofondateur de Palantir, la licorne de data science qui travaille pour le Pentagone et dans laquelle la CIA a investi. Je ne crois jamais aux complots mais c’est troublant: les machines portent une grande partie de la solution et nous connaissent mieux que nous-mêmes. Il devient urgent de mieux les comprendre et de savoir et choisir qui les contrôle. Rendez-vous en 2017.

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