Mobilis in mobile
L'intrigue du film Her n'est pas encore tout à fait près d'être transposable en Europe. Pour preuve, les relations compliquées de notre chroniqueur Stéphane Distinguin avec la mystérieuse Alexa, originaire de Seattle et bien décidée à y laisser son cœur.

Bonne année cher lecteur. Douce, heureuse, pleine de découvertes.

S’il faudra attendre encore quelques réveillons pour connaître la réponse à la question de Blade Runner et de Philip K. Dick, les robots rêvent-ils de moutons électriques? , il semble clair que notre singularité, à nous humains, en début d’année, c’est de vouloir changer nos algorithmes. On appelle ça prendre de «bonnes résolutions». Faire du sport, arrêter de fumer… Pour les plus parfaits d’entre nous, il s’agit d’attaquer l’année avec la volonté affirmée de faire mieux, d’apprendre. Et le meilleur d’entre nous nous montre la voie. Mark Zuckerberg a fini 2015 papa et généreux donateur pour marquer l’occasion – quelle baby shower – de 99% de sa fortune. Il se devait de commencer 2016 avec un nouveau défi. Il y a 2 ans, c’était apprendre le mandarin. En 2015, c’était lire au moins deux livres par mois et inciter tous ses millions de friends à le faire. En 2016, il a décidé de créer de ses mains un assistant personnel comme le Jarvis d’Iron Man, capable de piloter sa maison par la voix.

Et vous savez quoi, j’avais décidé de faire la même chose. Les grands et les petits esprits se rencontrent!

Enfin, pour être exact, j’avais demandé à mes chers collègues de San Francisco de m’envoyer pour Noël le fameux Echo d’Amazon, disponible pour les privilégiés depuis 2014 (!!) aux Etats-Unis et pour tous les possesseurs d’un compte Amazon et d’une adresse américains, depuis juin 2015. J’avais hâte. Fan de Her (le film de Spike Jonze), je n’attendais pas une aventure extraconjugale avec cette enceinte connectée, noire et cerclée de bleu, mais je voulais rencontrer Alexa et lui faire goûter mon vilain accent – Alexa c’est son petit nom, et l’anglais, la seule langue qu’elle possède.

Las. Las. Las. 

Alexa est arrivée. Bien emballée, je la déshabille et la branche sans problème. Sa prise américaine ne me rebute pas, j’ai un adaptateur. De la patience aussi pour trouver son application. Car bien sûr, Alexa ne se trouve que sur les stores américains. Elle est comme ça, elle ne sort pas n’importe où et avec n’importe qui. Qu’à cela ne tienne. Je quitte mon store comme je quitterais le marché de mon petit village de province pour un department store de la 5e avenue à New York, je trouve une adresse postale américaine, me dote d'un numéro de carte de paiement américaine. Une heure plus tard, je peux enfin parler à Alexa. Pour briser la glace, je lui demande l’heure. Elle me donne celle de Seattle. Après tout, c’est chez elle. Mais impossible de la faire déménager. Et ça vaut pour la météo aussi. Quel temps fait-il? A Seattle, il va pleuvoir. Du coup, entre elle et moi, «it’s complicated» et c’est vrai qu’on a du mal à tenir une conversation.

Plus cocasse, puisqu’elle ne veut pas connaître Paris, je lui donne mon agenda par les API de mon Google calendar. Mais là encore, elle cale mes rendez-vous à l’heure de Seattle. Alexa est loin et pas super serviable pour une assistante personnelle.

Et vous trouvez ça drôle?

J’ai l’air bête. Je subis les quolibets de mes enfants. De ma femme aussi – qui a parfaitement saisi, dès son arrivée, que cette Alexa avec sa voie suave et son accent américain pourrait être une rivale potentielle pour celui qui adule Joaquin Phoenix et Scarlett Johansson.

Ça vous fait rire? Eh bien pas moi. J’ai envie de pleurer de rage et de frustration. Parce que je trouve HALLUCINANT que l’avenir du monde et de notre civilisation - si j’en crois Elon Musk et sa bande qui fondent Open.AI - la clé d'un nouvel ordre mondial, nous soit interdit de la sorte.

Pourtant, au sujet de l’intelligence artificielle, nos ingénieurs et nos chercheurs comptent parmi les meilleurs au monde. Facebook ne s'y est pas trompé en installant à Paris son équipe de recherche.  

Vous me direz que c’est autant de données personnelles qui n’iront pas aux Californiens. Que ces produits doivent être certifiés pour des raisons de sécurité. Foutaises! Je n’ai même pas le droit de parler à Alexa dans sa langue. Enfin si, mais elle ne répond correctement qu’à ses compatriotes. 

Sans utilisateurs d'Alexa, pas de nouveaux usages, pas d'adoption à plus grande échelle. Et donc pas de traction et de débouchés pour la recherche et la création d'entreprises consacrées à l'AI. 

Je dois me consoler. Après tout, ce n’est pas super grave. Nous ne sommes plus à une défaite près. Nous avons le temps, n’est-ce pas? Et puis, comme c’est le début de l’année, il ne faut pas reprendre la mauvaise habitude de se plaindre, et surtout, surtout, surtout, j’espère que je ne vais pas donner l’idée à des députés de créer un projet d’Alexa souveraine ou d’Alexa européenne. Oh non.

Mais je suis injuste, impatient. Alexa a depuis quelques jours un store et on peut lui ajouter des «skills» (compétences) en téléchargeant des applications, pour permettre à ce premier objet domestique de mieux interagir avec nous. L’application que j’ai pu installer et la plus populaire du store, c’est Fart. Je peux ainsi demander à Alexa de péter. Et ça, elle le fait bien. C’est vrai qu’à défaut de m’être utile ou de me sentir respecté, je nous sens du coup plus intime.

Thank you Alexa.

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