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Derrière la montée en puissance des bloqueurs de publicité se joue une bataille entre Apple et Google. Les «telcos» et les éditeurs sont aussi de la partie, sans oublier Facebook. «Prenez du pop-corn, il y aura du sang, de la chique et du mollard», prévient Stéphane Distinguin, président de Fabernovel, dans sa chronique mensuelle pour Stratégies.

Le logiciel mange le monde. Je vous le répète à l’envi, ad nauseam même. Et comme Cronos qui finit par manger ses enfants, le logiciel mange ses modèles économiques. Imaginez un instant que, cette année, ce sont 22 milliards de dollars de revenus publicitaires qui seront partis en fumée parce que nous, les utilisateurs, les fameux «eyeballs» de la première bulle Internet, nous refusons la publicité sur les sites que nous visitons. Et ça, grâce à un logiciel, «ad-blocker» est le terme consacré, qui s’ajoute à votre navigateur et exclut la publicité. Comme sur ces boîtes aux lettres qui refusent les prospectus («stop pub»). Et cela vaut pour tous les écrans et tous les formats, y compris vidéo.

 

Cela vous étonne? Moi pas du tout. Je trouve cela même réjouissant que la résistance s’organise. Il est normal que ceux d’entre vous qui pensent à la réclame, avec ses lettres de noblesse, soient choqués par ce milieu de la publicité «digitale» que mon ami Gabriel Gaultier, le père de Jésus – c’est dire s’il est né avant Snapchat – qualifie de «syndicat de mauvais plombiers»: impossibles à joindre, peu fiables, toujours en retard, qui coûtent toujours plus cher que le devis… A cette exaspération, on peut ajouter le mauvais goût des bannières, des pre-rolls, de ces écrans intercalaires dont la croix dans un angle nous échappe. Et parfois nous rend fous parce qu’on veut voir l’article sur la belle Golshifteh ou sur l’excellent documentaire de Mélanie Laurent et Cyril Dion, Demain, et vraiment pas cette pub pour des rasoirs.

 

D’ailleurs, pourquoi les utilisateurs recourent-ils à un ad-blocker ? 50% d’entre eux ont le sentiment que leurs données sont utilisées pour personnaliser des publicités. 40% ne supportent tout simplement plus la quantité de publicités. Et attention, nous sommes sur internet, les volumes sont déjà ahurissants: 6,5% des internautes dans le monde utilisent un ad-blocker, soit près de 200 millions d’utilisateurs actifs mensuels. Et la tendance ne cesse de s’amplifier: ils sont déjà cinq fois plus nombreux qu’en 2012! Qu’ils s’appellent AdBlock, Ghostery, Collusion ou NoScript, ces plug-in pour navigateurs qui bloquent les publicités display parasites n’en sont donc qu’à leurs débuts.

 

Disruption

 

Alors, voilà, la publicité qui semblait avoir été le «sugar daddy» d’un internet gratuit se fait «disrupter» à son tour. Et puisque les usages sont désormais tirés par nos smartphones, que disent ceux qui fabriquent et conditionnent notre expérience, Google et Apple ? C’est là que cela devient passionnant et que le feu est mis aux poudres: AdBlock Plus vient de faire son retour dans le Play Store d'Android, après un rejet initial en mars 2013. Et surtout, c’est une des nouveautés majeures d’IOS 9, lancé le 19 septembre, qui intègre un ad-blocker pour Safari, sur Iphone donc.

 

La guerre est donc déclarée. Prenez du pop-corn, il y aura du sang, de la chique et du mollard. On peut d’abord y voir un retour des hostilités entre Apple, qui pousse les ad-blockers, et Google, qui se finance à 90% par la publicité. Ensuite, les opérateurs télécoms et les fournisseurs d’accès à internet trouvent enfin une réponse du berger à la bergère: on ne touche pas à la sacro-sainte neutralité du net (merci!), mais l’expérience de leurs clients y gagne et le désengorgement des réseaux aussi. Pour rappel, Free a été un des premiers, en janvier 2013, à promouvoir l’ad-blocking sur fond de mini bras de fer avec You Tube. Cette tendance se constate aussi avec le rachat d’AOL par Verizon.

 

Enfin, les éditeurs, qui sont par définition les premiers perdants de cette perte financière, réagissent et veulent bloquer les blockers. C’est le cas de TF1 lors de la dernière Coupe du monde de football, qui refusait de servir ses vidéos aux «ad bloqués». Et comme les gendarmes et les voleurs, il existe désormais des blockers d’ad-blockers: Page Fair, Secret Media, et Clarity Ray, acheté l'an dernier par Yahoo.

 

Joue-la comme Facebook

 

Vive la destruction créatrice: les ad-blockers forceront à l’innovation sur tous les fronts et dans tous les camps, et c’est pour cette raison qu’ils sont une bonne nouvelle et qu’à défaut de nouvelle loi ou de nouvelles réglementations de la publicité, c’est bien la technologie qui va nous bousculer. Les bons exemples sont déjà là. Les éditeurs les plus innovants, comme Buzz Feed, ont depuis longtemps développé des «content studios» pour créer des publicités dites «natives» de plus en plus proches du contenu pour leurs annonceurs. Google a tenté son modèle «Google Contributor», où l’on paie un abonnement pour naviguer sans publicité. Et, in fine, nous aurons sans doute plus de choix.

 

Selon une étude datant de 2013, le coût d'internet sans publicité reviendrait à environ 175 euros par an et par internaute: que ce soit par l’abonnement, la publicité native ou le paiement direct, ce coût devra toujours être financé! Alors, publicitaire, annonceur, marketeur, professionnel du numérique, joue-la comme Facebook, l’acteur qui sort grandi de ce tumulte avec ses «sponsored stories» et ses vidéos, et qui répète comme un mantra: «If we don’t create the thing that kills us, someone else will».

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