Comme pour nombre de métiers désormais, le digital a bouleversé les certitudes et les attendus des études, au point d'en redessiner les contours en termes d'expertises et de livrables. Le seul invariant est, bizarrement, cette fameuse data dont tout le monde parle aujourd'hui et qui fait sourire mes condisciples qui la manipulent depuis toujours. L'ère nous a seulement fait changer d'échelle, du tri croisé à l'algorithme. C'est évidemment une opportunité formidable pour qui aime décrypter en profondeur les attentes, besoins et exigences de ses contemporains, plus que jamais au centre de l'intérêt des annonceurs.
En premier lieu parce que l'ensemble des champs du digital (web, mobile, réseaux sociaux) nous a permis de proposer des méthodologies audacieuses là où notre secteur se reposait parfois sur ses acquis ; puis, grâce à des outils de traitement plus véloces, afin d'impacter plus efficacement le business de nos clients jusqu'à espérer atteindre enfin le Graal du temps réel. Le digital a surtout ouvert la boîte de Pandore en nous donnant accès aux multiples petits cailloux de la connaissance laissés çà et là par les petits Poucet de l'internet (le plus souvent à leurs doigts défendant) pour que nous trouvions – dans la multitude et parfois l'aléatoire – le chemin de la conviction, préalable à celui de la conversion.
Un vent nouveau, créatif et libérateur, souffle depuis sur nos métiers, nous redonnant une confiance et un allant commercial régénérants. Il nous a permis d'accueillir dans nos rangs des profils plus scientifiques et de nous familiariser avec des vocables autrefois réservés aux seuls informaticiens, pour créer de nouveaux ponts entre connaissance consommateur et vérité client. Mais, comme dans chaque révolution, il apporte également son lot de destruction de valeur qui, si on n'y prend garde, pourrait signifier une métamorphose de nos métiers bien plus profonde qu'il n'y paraît.
Certes, la pléthore de données impose un remaniement de nos méthodes d'analyse, mais elle ne doit pas conduire à se satisfaire des «comment» en renonçant aux «pourquoi». En effet, les nouvelles segmentations, issues de la collecte de données de navigation en temps réel, inventent une nouvelle grammaire de la connaissance juxtaposant des internautes aux comportements similaires sans se préoccuper réellement des motivations qui les ont conduits aux mêmes URL.
Le volume suffit désormais à qualifier le besoin, même insoupçonné. La corrélation devient la norme explicative, prédictive et demain prescriptrice de nos comportements, réduisant les individus à des alternatives binaires, sésame d'un monde ultra connecté. A quoi bon s'attarder encore sur la causalité quand la marge d'erreur statistique disparaît face à la quantité traitée, toujours plus importante ?
Je mesure ces évolutions à l'aune des discussions entre experts que je croise régulièrement. Nos échanges ressemblent désormais à des conversations d'ingénieurs où le challenge réside plus dans la quête et l'interfaçage de sources complémentaires, ou l'identification de jumeaux statistiques dans des bases de données tiers. Si c'est une science qu'il nous faut indéniablement intégrer, il nous faut toutefois demeurer les garants de l'appréhension holistique des individus.
Car si le surf n'est que la démonstration d'une opinion volatile, conforme un instant à un comportement, il n'est pas forcément significatif de l'attitude, véritable colonne vertébrale de l'identité. Tenter de la saisir, c'est prendre le temps de l'investigation et la remettre en perspective de ces actions ponctuelles pour lier les individus plutôt que de seulement les agréger. Oser aller au-delà de la lisibilité des comportements pour identifier les ressorts de la préférence, moteurs de l'engagement envers les marques.
En somme, réconcilier dans l'analyse les données déclaratives, spontanées et constatées, pour donner toutes les clés à la compréhension et à la mesure de l'intelligence consommateur. Notre défi est bien là !