L’histoire des développements numériques est faite de l’apparition continuelle de nouveaux modèles d’application qui deviennent au fil du temps des écosystèmes complets, avec leurs milliards d’utilisateurs, leur champions, leurs communautés de développeurs, etc. Et à chaque décennie sa vague technologique, ses us, coutumes et son architecture technique correspondants. Les séries sont têtues et exponentielles. A chaque nouvelle phase, on multiplie par dix la base installée, premiers ordinateurs, mainframes, personal computers, laptops, smartphones, demain Internet des objets, en anglais Internet of things ou même everything.
Pour faire simple, tout service finit par se matérialiser dans une interface, un objet. Et réciproquement, chaque objet, à l’ère numérique (ou digitale, je ne veux pas te perdre lecteur) incarne un service. C’est bête comme chou ou pomme, c’est la loi de Jobs: «There is an app for that». Mais avec des millions d’applications disponibles, à la puissance du nombre d’écrans qui nous entourent, est-ce que le client/utilisateur s’y retrouve forcément? Et si le service et l’objet fusionnent, l’interface ne doit-elle pas disparaître… les applications, devenir invisibles?
On assiste en ce moment au grand retour du SMS comme vecteur de service: la tendance est clairement à l’essor des applications de messagerie et leur transformation en plateformes de services («Messaging as a Platform») comme canal unique entre marque et client. Et c’est ce que demandent les utilisateurs qui votent avec leurs doigts sur leurs claviers: les applications de messagerie sont utilisées en moyenne 9 fois par jour sur smartphone et engagent 5,6 fois plus leurs utilisateurs que la moyenne des autres applis (étude Flurry). Naturellement, les fournisseurs des messageries les plus populaires transforment donc leurs produits en véritables plateformes, permettant aux applications tierces et aux marques d’exploiter ce canal de communication tellement prisé par leurs utilisateurs: sur la messagerie chinoise WeChat, les marques peuvent créer des canaux de discussions avec les utilisateurs, en one-on-one depuis 2014.
Facebook Messenger vient de sortir Business on Messenger pour offrir cette même fonctionnalité: converser avec Lyft, Uber, Foursquare ou ToysRUs dans le même outil que celui qu’on utilise pour parler à Pierre, Paul ou Jack. Facebook, après avoir pris du retard de la messagerie instantanée (pour mémoire, la légende dit que Zuckerberg était opposé à son lancement), est en train de faire de Messenger une plateforme de services à part entière. On y trouve même désormais un store d’applications, avec Giphy, Doodle Draw ou Lipp pour enrichir les conversations, et donc bientôt des business insérés dans Messenger, avec un bouton… buy!
Ainsi, Facebook, sur le champ des GAFAnomics, reprend du terrain dans la guerre du mobile et attaque par la bande mais frontalement les positions de l’AppStore d’Apple et le Google Play. Et par principe, puisque l’utilisateur pose directement sa question à l’intérieur de la conversation, Facebook et ses nouveaux développements mettent même la pression sur le Search de Google. Les équivalents de Google (Hangout) et de Apple (iMessage) sont pour le moment assez faibles pour jouer le même jeu. Ils vont devoir, mobilis in mobile!, réinventer eux aussi la façon dont ils diffusent leurs services sur mobile qui a fait leur réussite ces dernières années. Et tous les grands acteurs convergent aujourd'hui vers ces nouveaux principes d’interfaces ambiantes et invisibles: c’est Amazon avec son Echo qui peut le mieux entretenir des conversations désormais.
De quoi proposer un nouveau théorème numérique, celui de Benedict Evans [partner chez Andreessen Horowitz]. «Old: all software expands until it includes messaging. New: all messaging expands until it includes software.»