Ici New York
Tous ces Français râleurs et déprimés, il faudrait les envoyer à Los Angeles! Un bon «summer camp» en Californie et les «Frenchies» se rendront comptent qu’ils ont le droit à la satisfaction et que ça ne leur va pas si mal d’être heureux et satisfaits. C'est l'opinion de Clarisse Lacarrau dans sa dernière chronique avant les vacances.

Vivre à l’étranger, c’est regarder ses compatriotes (et soi même par la même occasion) sous un autre angle. Mais encore faut-il qu'ils vous offrent une autre facette à regarder. Parmi toutes les nationalités expatriées que l'on croise à New York, il semblerait que les Français soient ceux qui souffrent le plus. Ou qui parlent le plus ouvertement de qui les fait «souffrir» ici. Car oui, s’il y a un truc bien français, c’est de dire tout haut tous ses petits tracas. Ce qu’on appelle râler, pour tout… la pluie, la chaleur, le métro qui n’arrive pas, le service trop présent, ou pas assez présent au moment... Bref, même à des milliers de kilomètres, le Français élevé à l’expression de ses mécontentements ne change pas, il râle et la bête tapie au fond de son petit bois personnel n’a pas été muselée par le sur-positivisme général qui consiste à tout trouver super ou à fermer sa gueule.

 

Un peu comme les Danois, réputés les plus heureux du monde (car dans la société scandinave il n’est pas bien vu de déséquilibrer le groupe avec ses états d’âme, ça s’appelle la «jantelagen»), nous sommes irrémédiablement en train de chercher la petite bête qui vient bousiller notre journée. Au point d’en vouloir à ces pauvres Américains d’apparaître si contents et joyeux; en même temps, leur sourire indéfectible vous renvoie sans detour à votre réflexe pavlovien: la râlade.

 

Au cours de cette année, je n’ai donc pas espéré être très surprise par la capacité des Français à se laisser «transformer» par l’Amérique. J’en suis même venue à me dire que nous avions des métabloquants qui nous rendaient ultrarésistants à la culture locale. A vrai dire, je ne sais pas ce qu’il y avait de mieux entre le râleur dépressif et l’expatrié ivre de son rêve américain qui vous le revend encore et encore, alors que ce dernier en est toujours à batailler pour obtenir une «green card», mange des pilules par peur de tomber malade, mais bon, il vit aux ETATZUNIS, en Amérique, quoi! Là où il a droit d’avoir trois voitures, d’être tatoué des pieds à la tête, d'aller surfer le matin et de «make money» sans honte.

 

Moi-même, j’ai dû me regarder dans la glace, bien obligée de constater que j’étais terriblement française et que l’on a beau se raconter qu’on est un citoyen du monde, super-adaptable, on est le produit de sa culture et de son contexte. À 80% paraît-il. Ce petit déterminisme m’avait mis un petit coup au moral car dans le voyage, on espère toujours un peu rencontrer un autre soi.

 

Et puis il y a la Californie, the Golden State, Los Angeles. Chimie californienne qui semblerait être un précipité puissant et qui transforme n’importe quel Français en être souriant et heureux et, je vous promets, ça fait bizarre de rencontrer des Français apaisés. Surtout en ce moment. Un peu plus d’une année passée sur le territoire et j’avais tendance à éviter les rassemblements d’expatriés francais, d’abord parce que je ne suis pas venue pour rencontrer ce que je connais déjà et ensuite par que ces deux archétypes de Français me fatiguent d’avance. Mais lors d’une soirée californienne, traînée un peu de force, j’ai rencontré un Français d’un troisième type, comme touché par la grâce, une version de nous-mêmes légère et énergisante. Les Français croisés à L.A c’est comme nous, en mieux… A savoir: juste mieux dans leur pompes.

 

Créatifs, entreprenants (sans chercher à épouser le modèle du self made man américain), débarrassés de l’inhibition française qui consiste à avoir toujours truc à dire sur tout, la pression du bon mot, comme on dit. Tout à coup, contents d’être là, car autorisés à être ce qu’ils veulent dans une ville qui au fond ne vous demande rien, voire s’en fout un peu de vous. Cet anonymat qu’autorise L.A., cette organisation sociale ultralatérale qui fait que tout le monde peut se croiser si tant est qu’on en ait envie, ça avait l’air d’avoir libéré les petits Frenchies expatriés, bien trop loin de l’espace-temps de la France pour en subir encore son influence.

 

Et tout ça en ne reniant rien; non, juste comme s’ils avaient le droit de souffler, comme si on avait autorisé ces Français à être contents, satisfaits de ce qu’ils avaient et à imaginer tous les possibles. Comme si le coté page blanche de Los Angeles où tout le monde vient écrire un peu de son destin et rêve à une petite postérité quellle qu’elle soit faisait émerger le meilleur d’eux-mêmes et ce pour quoi les Américains nous aiment d’ailleurs. Un coté décalé qui prend toujours la liberté de prendre le sujet sous un autre angle.

 

Je vous jure, j’ai eu beau convoquer les forces malicieuses de l’esprit critique francais, auquel je suis particulièrement attachée, tout à coup, je me suis dit que nous devrions envoyer en «summer camp» des A380 remplis de Français attaqués et inhibés par la déprime française et l’agressivité de leurs élites pour qu’ils viennent souffler un peu en Californie et surtout pour qu’il se rendent comptent qu’ils ont le droit à la satisfaction et que ça ne leur va pas si mal d’être heureux et satisfaits. On n’appelle pas Los Angeles «La La Land» pour rien. C'est la composition chimique des Français apaisés.

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