Depuis des années déjà on ne cesse de dire, d’entendre ou de lire que la presse est en crise. Internet est présenté comme le grand responsable, le « grand méchant loup » qui aurait au mieux bouleversé le business model d’un microcosme médiatique jusque-là bien installé, au pire signé la mort irréversible et programmée d’un certain type de presse, voire de la presse en entier.
Face à ce bouleversement qu’a indéniablement constitué Internet pour les médias, ceux-ci, désarçonnés, se sont mis à la recherche d’une solution économique, non encore trouvée jusqu'à présent. Des solutions s’esquissent, certes, mais… Et si le problème était ailleurs? Et s’il ne résidait pas tant dans un changement de business model que dans la mutation de la notion de journalisme et d’information telle qu’elle a été envisagée jusqu'à présent?
L’information véhiculée par les médias revêt deux aspects : l’actualité immédiate, ce qui se passe partout dans le monde à un instant T, et l’investigation qui consiste à rechercher, analyser, éclairer un propos voire même révéler ce qui est caché.
Longtemps les deux notions furent intimement liées. Les médias fournissaient indifféremment analyses et enquêtes, et actualités. Et si ce n’était que ces dernières qui étaient remises en question par l’arrivée d’internet et surtout des médias sociaux? Peut être…
Il convient toutefois de préciser que, à contrario de beaucoup d’idées reçues, la « révolution internet » n’en est pas vraiment une. Le monde de l’information a toujours été lié et impacté par le progrès technologique. Il n’en est pas à sa première révolution, la généralisation de l’imprimerie, l’émergence de la radiodiffusion puis de la télévision, voire même la téléphonie, ont tous eu un impact non négligeable sur les médias.
A chaque nouvelle innovation, des déclinistes de tout ordre ont toujours fait valoir que tel ou tel nouvel outil pourrait ou allait signer l’arrêt de mort de celui qui lui pré existait. La radio aurait alors tué la presse écrite et aurait dû disparaitre à l’émergence de la télévision. Il n’en a rien été.
Et contrairement à tout ce que ces oiseaux de mauvaise augure ont pu faire valoir, nombre de médias ont su s’adapter et vivre en bonne intelligence, l’un complétant l’autre, ceci pendant de nombreuses années. Alors Internet dans tout cela ? Renouveau ou annihilation ?
Une chose est certaine, la multiplication des sources d’informations et la gratuité, essence même du web, ont pu mettre à mal de nombreux médias frappés alors d’obsolescence programmée et ne survivant désormais qu’à grand-peine.
Mais le problème ne serait-il pas ailleurs et la solution, plutôt que de vaines tentatives de monétisation de l’information sur le web ne pourrait-elle pas avoir une autre forme plus subtile et beaucoup plus élégante ?
Que la stricte information d’actualité doive alors emprunter un autre vecteur que celui désormais trop lent de la presse écrite ne pose plus question. Mais qu’en est-il de l’investigation, de l’enquête ? Si une actualité peut être désormais recueillie de manière « brute » par un lecteur / auditeur devenu acteur de l’information qu’il reçoit, ce même lecteur est-il en capacité de se transformer en un investigateur ou en analyste ?
Ce n’est pas qu’il n’en a pas les capacités, n’insultons pas l’intelligence des citoyens curieux et avides d’information. C’est plutôt qu’ils n’ont ni le temps, ni la formation, ni la connaissance spécifique qui permet de fournir un éclairage pertinent face à une problématique complexe. Or le besoin est là, actualité et analyse, l’auditorat souhaite les deux.
Désormais surinformé, le « lecteur » souhaite également comprendre via des clés de lecture que lui même n’a pas forcément le temps ou l’envie d’explorer. Tout le monde n’est pas analyste, expert ou bibliothécaire. De nouveaux médias tels Mediapart, XXIème, La Revue Dessinée, l’Opinion ou Le 1 sont la preuve qu’un journalisme de décryptage peut trouver son public.
La clé n’est-elle alors pas là ? Dans une recomposition du monde médiatique et du temps médiatique où des vecteurs d’information « rapides » comme internet, la radio et la télé fourniraient l’information, et d’autres, inscrits dans une temporalité plus lente pourraient proposer l’investigation et l’analyse dont nous avons besoin ?
N’allons pas faire de caricature, les porosités restent et les magazines d’investigation donnent aussi le temps de la réflexion dans des médias pouvant être considérés comme rapides, ou immédiats. Mais ensuite, sans signer la mort du journalisme mais au contraire en positionnant ces mêmes journalistes dans des formats leur permettant d’exercer pleinement leurs capacités et savoir-faire, ne peut-on pas inventer une nouvelle répartition des médias selon ce modèle?
Cela amènera très probablement à des médias tels les quotidiens de la presse écrite, à devoir se recréer (le modèle de La Tribune peut être riche d’enseignements), mais cela ne signera certainement pas la mort du journalisme. Nous aurons toujours besoin d’analyse, de réflexion et d’expertise. Fournir une information à forte valeur ajoutée, un éclairage nécessaire complémentant l’information pure redonnerait sans nul doute envie au lecteur d’acheter à nouveau de tels contenus.
Et, qui mieux que des professionnels spécialement formés à cet effet, pourrait continuer à les proposer et à les sublimer pour le plus grand bonheur de tous?