il y a un truc très bizarre pour nous Français (quand je dis nous, je dis moi, je suis devenue tellement française que je me prends pour la délégation olympique), c’est le besoin constant et quasi maladif que les Américains éprouvent pour la nouveauté. Ici, on n’a pas fini de comprendre un régime alimentaire qu’il faut déjà se mettre à en changer, on en est à peine à intégrer les rudiments du Pilates que s’inventent déjà le yolates, le pilafitness, le cross pilates et je ne sais quoi. Et on n’a même jamais eu entre les mains les Google Glass que déjà on ne les aura pas (et fort heureusement : des siècles pour inventer les lentilles et éliminer ces protubérances du visage, et voilà Google qui, décidément, n’en a rien à faire des soucis esthétiques dans la vie et nous met ces horreurs inutiles sur le nez).
Comme si, dès lors que l’on possédait quelque chose, ce quelque chose devenait tout à coup inintéressant. Ou alors est-ce un goût ultraprononcé pour le nouveau, comme l’illustre cette fameuse expression qui inonde internet, « machin is the new machin ». Comme quoi, « machin d’avant » n’a pas le temps d’être « new », de toute façon il y a « machin d’après » qui passe son temps à le détrôner. Bref.
C’était mieux avant
Mais tout ça me renvoie aussi à la réaction très française et totalement déprimante face à la nouveauté, qui consiste à expliquer comme c’était mieux avant, ou comment on savait mieux faire les choses avant, ou qui consiste à émettre forcément des doutes sur la prétention à l’existence de ce « new ». Entre l’hystérie et le cynisme, pour le coup, j’aurais tendance à dire que l’hystérie joyeuse qui embrasse le nouveau est bien plus agréable à vivre au quotidien.
J’ai eu la chance d’entendre le témoignage d’amis américains, comme le reflet inversé de mon expérience. Alors qu’ils étaient en France, dans la région d’Auxerre, pour quelques mois, près d’amis américains qui venaient d’acheter une maison, ils me racontaient un de leurs plus grands chocs, et aussi un de leurs plus grands attendrissements. Leurs amis étaient en train de refaire la maison, et devaient gérer les artisans du coin. Bien sûr, ils étaient innocents, vierges de tout soupçon sur les goûts régionaux et autres réglementations architecturales et patrimoniales. Ils sont allés, joyeux et positifs, la fleur au fusil, rencontrer le compagnonnage du coin.
Et ils n’ont pas été déçus, apparemment. En gros, évidemment, ce couple d’Américains n’en avait rien à faire de ce qui se fait ou pas, ils voulaient du neuf, du beau, du dernier cri ou du dernier (jugé comme) bon goût en déco. à chaque réunion de chantier, à leur requêtes extravagantes, les artisans du coin répondaient invariablement : ça n’est pas comme ça que l’on fait ici, madame ; si ça fait des siècles que l’on pose les pierres comme ça, c’est pour une bonne raison, c’est parce que c’est comme ça que ça doit être fait. Un point c’est tout, fin de la discussion.
Descartes chez les transhumanistes
J’imagine bien que ces dignes représentants d’un peuple biberonné à la conquête de l’Ouest, à l’idée qu’il y a toujours une « last frontier » – à savoir, qu’on peut/doit toujours pousser l’exploration, car il n’y a pas de frontière, pas de limite– ont dû avoir les bras ballants et la mâchoire bloquée face aux certitudes ancestrales de nos artisans francais. Et mes amis me disant qu’ils avaient trouvé fascinante cette espèce de certitude que rien ne peut être fait, amélioré ou fait différemment, jamais plus, « ever ».
Et du coup, ils en sont venus à me poser mille questions sur l’école, la créativité en France, l’entrepreneuriat. J’étais un peu gênée de devoir répondre de ces certitudes françaises qui semblent dire que l’histoire s’est arrêtée chez nous, et leur ai dit que c’était aussi en effet une prison, surtout quand les générations plus âgées vous regardent avec la certitude que ce que vous allez inventer sera forcément moins bien que ce qui a déjà été fait.
Et tout d’un coup, après un an passé avec eux, j’ai remercié cette attirance un peu hystérique des Américains pour le possible, la tentative, le tâtonnement. évidemment, l’idéal serait un chouette mélange des attitudes, et qu’un extrême compense l’autre. Qu’un vieux Français un peu sceptique vienne de temps en temps questionner l’élan hystérique pour le nouveau (qui confine aux expérimentations de savant fou parfois). Imaginez Descartes qui viendrait mettre ses mains dans le cerveau des gourous du transhumanisme, qu’ici on embrasse encore une fois joyeusement, sans poser la question de la vertu du « new » ou pas.
J’ai eu le cœur perdu au milieu de l’Atlantique, me disant que c’est dans cet entre-deux que vibrait la richesse de l’expatriation. « The middle is the new center ».