Léa émerge tout doucement du sommeil. La lumière s’est progressivement répandue dans sa chambre grâce à son appli Iwaku, programmée pour la réveiller au meilleur moment de son sleep cycle. Son Iphone 18 à hologrammes, connecté à ses draps tactiles, l’informe que sa nuit s’est bien passée et que son indice de repos est de 84, ce qui devrait lui assurer une bonne journée. Néanmoins, compte-tenu de son agenda du jour, l’appli recommande un complément vitaminique qu’elle trouvera dans son réfrigérateur intelligent. Programmé pour toute la semaine, celui-ci lui calcule ses apports caloriques pour son petit déjeuner, elle n’a plus qu’à peser les ingrédients sur la balance connectée.
Tout en grignotant ses biscuits aux lentilles avec de la confiture de chou, Léa s’interroge sur sa tenue du jour. Un tee-shirt à messages, qui s’adaptera à ses différents rendez-vous fera l’affaire. Elle choisit des stilettos à podomètre intégré.
Une tasse de chicorée vintage à la main, elle consulte les messages de la nuit. Tradeuse pour une start-up spécialisée dans le textile, Léa ne s’arrête jamais. Le décalage horaire a complètement disparu, son générateur de réponses automatiques a bien bossé. La filiale à Lagos est en train de devenir la plus dynamique, elle voit que son avatar a augmenté les commandes de 5%. La Coopérative des femmes nigérianes est en pleine explosion, leur production concurrence sérieusement celle de la Chine. Léa allume l’écran situé au-dessus de la table de la cuisine, sa conf call avec la filiale de Shaoxing démarre. C’est l’avatar de son interlocuteur qui lui répond, chacune parle dans sa langue, immédiatement traduite à l’écran. L’affaire est rapidement conclue.
Feuilletant distraitement l’e-magazine Stylist, Léa remplit un panier virtuel de vêtements qu’elle n’achètera jamais. Elle sait qu’elle sera retargetée avec les mêmes produits, moins chers. Bientôt la journée de la femme, les youtubeuses s’en donnent à cœur joie. La Conasse fête les 5 ans de ses triplés, c’est pas triste.
Son téléphone soupire. Ce soir, elle a rendez-vous avec un garçon casté la veille sur Happn, après l’avoir furtivement croisé dans un bar à tatouages. L’algorithme a tourné, ils sont compatibles, elle peut y aller, de toutes façons, elle a actionné la fonction Zérorateau.
Elle est prête: avant de claquer la porte, elle met son appartement en mode closed: automatiquement, l’aspirateur, le lave-vaisselle et le lave-linge se déclencheront dès qu’elle aura tourné les talons. Elle songe à le mettre sur Airbnb 1.0, la version single du célèbre site. Un petit revenu d’appoint serait le bienvenu. D’ailleurs, elle a oublié de rembourser Lucas hier au bar, l’appli Pumpkin lui permet d’envoyer les 48 bitcoins (le prix du verre de vin qu’elle a pris) qu’elle lui doit.
Sa voiture électrique Huey Wei démarre sans un bruit. Grâce à son GPS Siri, elle arrive sans encombre chez la styliste, tout en passant quelques coups de fils. L’interdiction de téléphoner en voiture a été abolie lorsque les pare-brise intelligents sont devenus obligatoires. Ces écrans de contrôle calculent les trajectoires et analysent l’activité oculaire, ce qui permet de repérer les moments d’inattention. Les accidents liés au mobile ont donc quasiment disparu.
Arrivée dans le quartier de la Bastille, Léa se gare dans la place qu’elle a réservée en partant. Il est de toutes les façons impossible de démarrer une voiture si on n’a pas réservé sa place de parking, c’est une mesure prise par la maire de Paris, Nathalie Kosciusko-Morizet. Grâce à cela, la ville s’est considérablement désengorgée, le parc de nouveaux Vélibs, légers et connectés, a été multiplié par cinq, et les métros à double étage commencent à circuler.
Léa passe la matinée à travailler, son écran à hologrammes lui permettant presque de toucher les matières qu’elle négocie. Sa styliste insiste sur le retour du gris en 2023, dans le cadre du grand retour des années 2000. Léa ne s’en souvient plus, elle était une petite fille habillée en taupe et bordeaux, comme tout le monde à l’époque. Ses parents, des bobos pur jus, l’ont élevée dans le culte du bio et du self improvement. Elle n’a pas connu le monde sans internet, et la télévision ne fait pas partie de sa vie.
Son téléphone vibre: son estomac est vide, il lui faut des calories. Elle lance la commande d’un panier gourmand chez Monop, qu’elle compose avec soin, et qui sera prêt dans sept minutes.
Son après-midi est libre: elle part lécher les vitrines connectées des Galeries Lafayette. La mode s’affiche en 3D, la cosmétique tactile la transforme en créature, le mobilier connecté murmure. Elle se sent bien, elle a 20 ans, et rendez-vous ce soir.