Plus qu’un phénomène de mode révélé par les pop-up stores, les magasins éphémères répondent à des nouvelles stratégies marketing destinées à innover, attirer l'attention, écouler des produits, rencontrer et échanger avec sa clientèle, actualiser son image ou tester le terrain. La montée en puissance de cette nouvelle forme d’occupation des commerces est donc logique et inéluctable dans un contexte où les locaux commerciaux vides sont devenus fréquents.
Les marques et enseignes pure players qui n'ont jamais franchi la porte des magasins s'interrogent désormais sur la pertinence de rallier le vieux modèle distributif qui réalise toujours 9 ventes sur 10. Et de fait, la répartition s’opère naturellement suivant la typologie d’achat. Pour l’achat « besoin », celui où l’on sait exactement ce que l’on veut, aller dans les magasins est devenu une contrainte et le e-commerce la solution. D’ailleurs, les plus gros e-shops ont une offre centrée sur ce type de produits. Mais pour l’achat « plaisir », celui où l’on ne sait pas exactement ce que l’on veut mais pour lequel on aime flâner dans les boutiques, seul(e)s ou avec des ami(e)s, pour dégotter des petites choses sympa, repérer les tendances, toucher les matières, sentir les parfums, s’acheter un « p’tit truc truc »,…le e-commerce est à la peine et la boutique physique n’est pas morte, elle correspond simplement à ce besoin multi-sensoriel.
Dans ces conditions, les e-shops devraient de plus en plus venir graviter sur le terrain. Historiquement, meilleurtaux.com a été le premier et avec succès a passé du virtuel au réel, insatisfait du taux de transformation faible obtenu sur son site où les simulations de crédit ne permettaient pas de déclencher massivement la demande de prêt. Lancé en 1999, le site ouvre son premier magasin en succursale en 2001 puis en franchise en 2006, et en 2015 meilleurtaux.com compte 200 agences et s'appuie sur 600 collaborateurs sur le terrain: record absolu, mais le sujet disons « sensible » imposait cette présence sur le terrain. Le site cdiscount.com, démarré en 1998, lui emboîtera le pas en 2006 en ouvrant un magasin pilote près de Bordeaux avant de s'installer rue du Bac dans l'un des quartiers les plus huppés de Paris.
Hormis ces deux pionniers leaders dans leur catégorie, les sites marchands ne se précipiteront pas et sur les 137 000 sites marchands recensés en France en 2014, une poignée seulement (dont le café-boutique Sarenza à Paris, Spartoo à Grenoble en mars dernier), a pour l’heure tenté l'aventure du magasin réel. Mais la montée de la concurrence en ligne, la diminution du panier moyen et la saturation des ventes en ligne annoncée pour 2017 risquent de changer la donne : les sites leaders et leurs challengers vont avoir tout intérêt à se déployer "en dur" pour continuer leur progression et gagner en proximité avec leurs clients.
L'opération est forcément délicate, qui qui mérite test et ajustement pour choisir les bons lieux d'implantation, les bonnes surfaces, les bonnes offres, le bon merchandising, le bon personnel sans décevoir son public habitué à la virtualité de l'opérateur. À ce stade, les magasins éphémères représentent donc l'opportunité de tester en vrai le modèle magasin sans s'engager définitivement et risquer son image : l’aide des professionnels de ce secteur naissant sera ici précieuse dans la recherche comme dans l’aménagement et la communication sur l’opération pour éviter des ratés coûteux. Nul doute que dans les mois à venir, une déferlante de sites marchands ne vienne bousculer les devantures closes des centres villes et des centres commerciaux.
Et puis, il y a les nouvelles marques, celles qui ne se sont jamais lancées ou celles récentes qui n'ont encore que peu de points de diffusion: elles ne peuvent pas prendre le risque d'un échec et connaissent mal l'activité retail, aussi la solution du point de vente éphémère s'impose naturellement. L'occasion à moindre frais de tester leur marché avant de s'engager définitivement dans un réseau de magasins en propre ou en franchise.
Il y a aussi les marques vendues en magasins multimarques mais qui souhaitent tester l'aventure solo: difficile de contrarier ceux qui représentent aujourd'hui une grosse part voire la totalité du CA, alors qu'un ou plusieurs magasins éphémères (parfois sous forme de concept store ou de pop up store) pourront servir de test tout en animant la marque! Dans ce cas particulier, on retrouve les rares marques qui veulent s’affranchir des réseaux multimarques mais surtout celles qui souhaitent diversifier ou élargir durablement leur diffusion à l’instar de Kusmi Tea, Lacoste, Nike et Adidas (pour proposer des expériences inédites à leurs clients), OPI... Notons que ces marques cherchent souvent à événementialiser leur présence pour se donner plus de visibilité et une image innovante comme Adidas avec son pop up store boîte à chaussure géante ou dans son concept store la customisation à la demande.
Dans cette catégorie, la formule de magasin pourra donc varier suivant les objectifs: simple complément au réseau existant avec un objectif d'écoulement et de présence accrue, le magasin pourra alors être éphémère (surtout lorsque les ventes répondent à une saisonnalité des ventes) ou définitif; complément ponctuel sur un emplacement particulier avec un objectif d'image et d'écoulement, le magasin pourra alors se déployer sous forme d'un concept store correspondant à l'environnement d'implantation (cas notamment des magasins s'installant dans des centres commerciaux hors normes type Westfield, So West ou Beaugrenelle) à titre d'essai (magasin éphémère) ou définitif; vecteur d'image avant tout avec un objectif de visibilité et de création de lien via une expérience client exceptionnel, un pop up store créé de toutes pièces (Hema Gare de Lyon, IKEA Auber ou Palais Royal, Chantal Thomass pour Tati...) ou dans une boutique "traditionnelle" (Bic, Converse, Dior...) et dont la durée de vie est par essence limitée.
Enfin, les objectifs peuvent se mélanger et la tournée d'un pop-up store peut par exemple répondre à des objectifs d'image (montrer d'autres facettes de l'enseigne ou de la marque), d'animation (créer le trafic par l'évènement), d'expérience client (le surprendre agréablement, lui faire ressentir la marque autrement), comme à des objectifs d'écoulement des stocks invendus et de prise de part de marché (la présence renforcée provoquant un accroissement de la demande).
Si toutes les marques et enseignes peuvent a priori bénéficier des avantages du commerce éphémère, quatre conditions renforceront sa réussite. Exclusivité: marque peu distribuée dans la zone de chalandise; web to store: marque qui a une audience significative en ligne/une communauté; aspérité: marque qui a un fort potentiel de communication; actualité: lancement de produit ou marque étrangère qui s’installe en France.
Il faudra pouvoir rapidement répondre aux envies et besoins des commerçants en quête de magasins éphémères, sous la forme économique d’un magasin tout simple ou sous la forme plus sophistiquée d’un pop up store évènementiel. Si l’on y rajoute la croissance des surfaces vides et l’ouverture progressive des professionnels de l’immobilier à ces nouvelles formes de location (en particulier dans les centres commerciaux), le commerce éphémère s’installe visiblement dans la durée.