L'un des secrets les mieux gardés par les nouveaux migrants, c’est les mystères du numéro de sécurité sociale. Oui, aux Etats-Unis, il y a bien un truc qui s’apparenterait à la sécurité sociale, en tous cas qui en porterait le nom, et d’ailleurs chaque personne qui travaille (légalement) obtient un numero de sécurité sociale, sans qu’il soit même nécessaire d’être américain.
Quand vous arrivez en terre promise, après avoir passé l’épreuve du visa, de l’ambassade américaine et de son interface (in)humaine qui ferait peur à un Russe, période guerre froide, tellement c’est sympathique et vous met dans un état de stress disproportionné, à coup de «next!», de gens qui passent leur temps à regarder votre dossier se demandant s’ils ont tout bon et paniquant quand ils voient que vous avez le formulaire B-42 et pas eux; bref, après tout ça, rebelotte avec la dame des ressources humaines de votre entreprise qui vous parle de mille trucs dont vous n’avez pas la moindre idée mais qui semblent familiers (la sécurité sociale, donc) mais pas tout a fait pareil quand même. C’est aussi ça, l’expatriation, il s’agit d’apprendre une nouvelle langue certes mais pas que: il faut apprendre de nouvelles références, codes sociaux, et réflexes administratifs (je suis sure que ça ne doit pas être de la rigolade l’arrivée en France non plus).
Alors, le numéro de sécurité sociale, c’est quoi? C’est d’abord un matricule qui vous servira pour tout, pas juste pour un nez qui coule ou pour la varicelle, mais aussi pour ouvrir un compte en banque, monter votre dossier de location d’appartement, avoir l’électricité, le gaz, etc. Enfin, ce n’est pas de votre sécurité qu'il s’agit mais bien d'un numéro pour protéger LA sécurité sociale ou autrement dit garantir ordre et surveillance, et surtout vous tracker dans tous vos faits et gestes administrativo-financiers. Sans lui, vous n’êtes rien et avec lui, vous êtes un peu moins à vous.
Mais c’est là que les choses se corsent: ce numéro est rattaché à votre compte bancaire. Qui dit compte bancaire dit crédit, au sens de carte de crédit pour de vrai, au sens de crédit revolving à des taux qui raviraient le bonhomme vert de Cetelem. Et votre capacité à jouer avec votre propre dette, à savoir dépenser à crédit mais rembourser régulièrement sans jamais dépasser votre plafond, est évaluée, trackée en permanence. C’est ce qu’on appelle votre «credit score» ou «credit historic». Votre «score» est donc vérifié par d’autres (votre banquier, votre propriétaire, le concessionaire auto) et plus il est performant, plus on voudra bien vous prêter de l’argent et ce, indépendamment de l’argent que vous gagnez par mois, ni même de l’épargne que vous pourriez avoir. Vous pouvez avoir 300 000 dollars sur votre compte mais si vous êtes nul avec votre credit score, on ne vous prêtera pas d’argent. Rien, nada, que dalle. Vous resterez exclu de la grande farandole de la consommation américaine.
Imaginez comme les fils se touchent à l’intérieur de votre logique française, vous à qui l'on a appris que l’épargne c’était super, vous à qui les banques ne prêtent pas sans apport, CDI, patrimoine ou je ne sais quoi. Ici, l’important, ce n’est votre sécurité sociale mais bien celle du système, ce n’est pas d’assurer sa stabilité financière mais bien de participer au grand gaming de la consommation américaine, même si c’est au risque de faire soi-même banqueroute.
Et comme souvent, c’est à travers la petite expérience personnelle que les méandres du système font sens. Ça explique pourquoi tout le monde a 15 000 cartes de crédit, pourquoi les subprimes, les dépots de bilan comme élément fondamental de l’économie américaine, pourquoi aussi les jeunes commencent à refuser de rentrer en université car c’est surtout rentrer dans le système du credit score - une entrée qui vous promet de ne pas pouvoir en sortir. Sans ça, vous êtes soupçonné de ne pas vouloir en être et ça, on n’aime pas trop ceux qui font un pas de coté. Comme le dit une fameuse chanson folk «americana»: «Relax, said the nightman, we are programmed to receive, you can chek out anytime you like, but you can never leave».
Voilà, j’ai l’impression d'avoir rompu une omerta américaine en vous donnant les clefs de l’individu américain bien intégré, un credit score sain, dans un numero de sécurité bien surveillé.