Ici New York
Cette semaine dans sa chronique, Clarisse Lacarrau, planneur stratégique installée à New York, vous explique l'ADN de l'Amérique: deux forces fondatrices et opposées, les «pilgrims» et les Afro-américains, mélangées en un précipité radical et puissant. Et cool.

Vivre aux Etats-Unis, c’est être baladé en permanence entre deux parents, un peu comme une garde partagée. Deux maisons, deux éducations, deux mondes. Un monde où le chaud et le froid viennent constamment vous souffler dans la nuque. Je m’explique.

 

En Europe, pour faire très simple, il y a les pays protestants et les pays catholiques, les latins et les nordiques. Bien délimités, ces deux mondes se sont peu mélangés. Du coup, que l’on soit né chez l’un ou l’autre, on se reconnaît et on reconnaît nos différences, et après deux ou trois siècles de guerre, on a même réussi à vivre ensemble.

 

Aux Etats-Unis, il vous faut du temps pour vous habituer à ce flou entre les frontières. Comment un pays peut-il être tout empreint de valeurs morales, qui se glissent dans les moindres recoins du jeu social quotidien et qui enferment les gens dans des conventions complexes, qui disent qu’il faut se maintenir, se contenir, se cacher, donner le change, souffrir et dire qu’on a souffert (pour réussir, pour être belle, pour être fort… culte de la redemption au delà de toutes proportions), avoir l’air parfait et faire comme si on aimait tout le monde, même soi-même… Pays qui surveille son peuple comme s’il était menaçant, intrinsèquement. Alors que dans le même temps, il autorise les fesses de Kim, la folie de South Park, la liberté de parole de Jon Stewart, la musique dans toute sa rage (le hip hop) ou sa violence (le metal), le groove, le funk, les culottes de Beyoncé et la décadence de Courtney Love, la drogue jamais loin, et des lâchers prises hors du commun (de Spring Break à Burning Man).

 

Avouez qu’au début ça peut donner le tournis, peut-être même la nausée. En tout cas, oui, on est un peu paumé. En fait, je crois que j’ai fini par trouver. L’ADN de l’Amérique est fondamentalement constitué de deux forces opposées. Sauf qu’il y a eu mélange, précipité chimique et puissant. C’est une conversation à propos d’Obama avec un ami américain (blanc) qui m’a éclairée.

 

Ce même ami ayant vécu en France, il m’expliquait pourquoi selon lui les Américains pouvaient voter pour un président noir et que ça n’était pas si étonnant car à la différence de nous, les Afro-américains, comme on les appelle, font partie des tout premiers Américains, ils ne sont pas plus immigrés/immigrants que les «pilgrims» arrivés juste un peu avant. Ils sont arrivés en même temps que tout le monde (pas traités de la même façon, en effet, mais on en reparlera très bientôt). Et imaginez le mélange des deux mondes: des pélerins, luthériens d’avant la Réforme, plus radicaux qu’un groupe de punk hardcore, fuyant l’Angleterre qu’ils trouvent un peu trop cool dans son laisser-aller réformiste et étant aussi un peu persécutés, il faut l’admettre, avec les noirs africains animistes, shamans et connectés aux esprits de la nature. Je ne sais pas si vous visualisez un peu la chimie totalement improbable.

 

Eh bien, pourtant, ce sont ces deux puissances radicales et pures qui sont à l’origine de l’Amérique, un peu comme si c’était les bases de son ADN. En vrai, moi qui souvent préfère la radicalité, je remercie tous les jours les Afro-américains de contre balancer celle de ces vieux pilgrims obtus pour donner à l’Amérique sa puissance et sa coolitude. Comprendre ça m’a tout à coup fait mieux vivre ces allers/retours paradoxaux entre le chaud et froid, et préférer à la garde partagée une maison bordélique et un peu improbable mais assez unique. Welcome to the United States of Whatever. Et pour le plaisir, un résumé efficace par l’équipe South Park de cette genèse folle :

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