«Le journalisme doit être une conversation.» Ces propos tenus il y a quelques semaines par Aron Pilhofe, responsable digital du Guardian, continuent de faire écho dans la plupart des «newsrooms» de la planète. Il faut dire qu’Aron Pilhofe fait office de gourou dans son domaine. Il avait rejoint The Guardian avec pour mission de «multiplier les initiatives digitales permettant de faire grandir l’audience et créer des liens plus forts avec les lecteurs». Auparavant au New York Times, il avait occupé avec succès la même fonction. Chacune de ses idées est scrutée par tous les médias cherchant à accélérer leur digitalisation. C’est-à-dire à peu près tous!

 

Dans une même conférence, à Londres, il est monté au créneau contre l’attitude de Reuters, qui a décidé de fermer une partie des commentaires de son site… pour mieux les développer sur sa page Facebook (2,5 millions de fans). «Une erreur monumentale» selon lui, tant les interactions avec le lecteur représentent «une grande ressource largement inexploitée dans notre secteur». Et de compléter: «Les lecteurs ont besoin d’une voix et le méritent. Ils devraient être au centre de notre attention.»

 

Les Anglo-Saxons ont toujours eu une attitude différente de nous, Français, quant aux commentaires sous articles dans les médias en ligne. D’une part, ils ont vision plus «macro» que nous. Ce qui compte, ce n’est pas tel ou tel commentaire, mais les grandes tendances qui se dessinent quand on lit le fil de conversation. Pour Aron Pilhofe, un site comme Buzzfeed a parfaitement su cerner son audience et adapter ses contenus pour répondre à leurs attentes. Un exercice que chacun peut faire à sa façon, sans déroger pour autant aux grands principes de sa ligne éditoriale.

 

«Les journalistes sont peu enthousiastes vis-à-vis des commentaires; pourtant, c’est ce qui permet de mieux comprendre ce que vos lecteurs pensent des sujets que vous abordez», écrivait il y a quelques mois Sebastian Horn, responsable du digital à Die Zeit, en Allemagne. Et d’ajouter: «Pour chaque article, il y aura toujours au moins un lecteur posant une bonne question, signalant un point que l’article n’a pas abordé.»

 

Au sein des rédactions, on entend souvent dire: les commentaires d’internautes, ceux qui passent le filtre de la modération, sont loin d’être tous intéressants. C’est sans doute vrai. Et après? N’est-ce pas aussi le cas des opinions d’auditeurs dans des émissions de radio, telle Les auditeurs ont la parole? Emission que RTL présente ainsi: «Ils choisissent les sujets dont ils souhaitent débattre: une véritable tribune d’expression qui reflète les préoccupations des Français.» Très forte audience depuis près de 30 ans! Pas de raison que ce soit différent sur le web. D’autant que les commentaires d’articles drainent vraisemblablement aussi une large audience. «Nos focus groups montrent que les commentaires augmentent le temps passé sur notre site», souligne Cathy O’Sullivan, du New Zealand Herald.

 

Mais en France, les données chiffrées manquent. Les commentaires étant par nature sous l’article, il est difficile de savoir si la lecture se poursuit après la signature du journaliste. On connait aisément le nombre de commentaires publiés, mais pour combien de lecteurs? Un sondage récent d’Opinion Way pour Netino, portant sur 1 004 internautes français, a permis d’apporter les premiers éléments de réponse (1). Soixante pour cent d’entre eux consultent assidûment l’actualité en ligne. Et parmi ces 600 personnes, seulement 10% ne lisent jamais les commentaires! Mieux, ils sont 80% à être déjà revenus sur les articles qui les intéressent pour voir comment évolue le fil de conversation (dont la moitié qui le fait fréquemment). Par ailleurs, même s’ils sont 49% à avoir déjà rédigé eux même un commentaire, seuls 3% le font régulièrement. Il y a donc beaucoup plus de lecteurs que de contributeurs. Au final, un sondage intéressant qui montre l’attachement des lecteurs aux commentaires et l’utilité de ces derniers dans la construction de l’audience.

 

A l’heure où tous les médias avancent à marche forcée vers une plus grande digitalisation, il serait dommageable de ne pas mieux exploiter ce qui fait l’une des forces du digital: l’interactivité avec le lecteur/l’abonné. Vaste chantier en perspective, mais sûrement l’un des plus passionnants!

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