Plus qu’une technologie, internet est un changement de paradigme. Et dans toutes ses dimensions, le langage fait l’objet d’une vraie révolution. Performance linguistique en 140 caractères, mise en scène visuelle et sonore, succès de You Tube, montée en puissance de la data personnalisation... Désormais, c’est l’émotion qui guide la plume et le clic. Une langue nouvelle, coagulée, efficace et visuelle naît. Elle accroche l’œil, le cœur et, si possible, la raison. Elle agrège des paramètres inédits, synchronise des champs de discours jamais reliés jusqu’alors. Le linguiste Roman Jakobson distinguait six fonctions pour la communication: référentielle, expressive, conative, phatique, métalinguistique, poétique... A l’ère du numérique, les communicants devront user de tous ces champs d’évocation pour devenir des virtuoses de la langue.
Data déluge. Avec le smart data, les entreprises pourront, en plus des mots, analyser les images, bientôt le raisonnement... Déjà, des algorithmes, comme ceux qu’utilisent les logiciels MOSS [Microsoft Office Share Point Server] ou Quill, génèrent des fables. Sommes-nous prêts? Face aux milliers de données collectées et analysées en temps réel, face aux enjeux d’un «me-cosysteme» [l'individu remplace les interaction au cœur d'un écosystème] complexe où se forme une expérience dans laquelle on plonge le client: quelles sont les marques qui se tournent d’ores et déjà vers un «language quality data»? Le language quality data sera cet art d’écrire et de parler à la hauteur de la sophistication des données collectées sur le client. Pourquoi créer des newsrooms, pourquoi multiplier les points de contact avec l’internaute, grâce à des contenus toujours plus créatifs et sensibles, si ce n’est pas pour qualifier et pérenniser votre relation avec lui?
Numérique vs carcan. Mais on voit déjà des contenus «prototypisés» se créer dans les entreprises. L’hypermodélisation, les gabarits, la systématisation de votre production d’écrits mutilent votre relation avec le client. On revient au temps où la marque déployait un discours désincarné et aseptisé. Conjuguer quantité, qualité et ciblage sera le grand défi des datas. Pour Alex Pentland, professeur au Massachusetts Institute of Technology et auteur du très prémonitoire Social Physics(1): «L’objectif des datas sera d’alimenter, à terme, le social plutôt que de le circonscrire.» C’est pareil pour la langue. Les créateurs de bibliothèques de contenus se trompent. On ne reconfigure pas, on n’automatise pas la langue. Dans l’entreprise et dans un marché, une langue vit, respire, relie. Elle est plus que jamais le capital majeur de votre relation avec le client, mais comment la maîtriser sans la castrer, sans l’anesthésier?
Communication, la résurrection. Entreprises créatrices de contenus, homogénéiser vos messages, ce n’est pas aplatir la langue, mais les harmoniser en créant de la valeur ajoutée... Jour après jour, une langue séduit, touche, conquiert, fidélise et «tague» les mémoires: elle doit être au moins aussi créative, singulière, séductrice et pertinente que vos campagnes de publicité. A ces publicités, on consacrait et consacre encore des budgets en conséquence. A quand de vrais budgets de langage? Du big data au language quality data, dans les newsrooms d’entreprise et les ateliers de rédaction de la marque s’annonce donc une nouvelle organisation du marché de la communication. Et un pari inédit pour les linguistes: vivre un face à face avec les data scientist et associer, à parts égales, analyse, méthode et ciblage, acuité, création réfléchie et sensibilité. Aujourd’hui, partout dans les entreprises, on entend parler de créativité augmentée ou d’odyssée de la créativité: quand les entreprises décideront-elles, enfin, de parler une langue augmentée?