Ici New York
Cette semaine dans sa chronique Ici New York, Clarisse Lacarrau, planneur stratégique, perce le secret de la vraie force des Américains. La créativité? La capacité à innover? L’art du storytelling? Vous n’y êtes pas: les Américains sont les meilleurs vendeurs du monde.

Aux Etats-Unis, on se retrouve vite fait avec une grosse liasse de billets verts dans les poches. Au début, on trouve ça marrant et on a l’impression d’être riche, mais après ça commence à être sacrement encombrant – il y en a partout, aucun porte-monnaie ne contient ces bouts de papiers – et puis petit à petit on finit par trouver ça quasi-maléfique. Car cette masse de billets fous brûlent les doigts et sortent de vos poches comme des petites papillons autonomes. Ce n’est pas tant que l’Amérique vous transforme en consommateur fou et inconscient, c’est qu’il est impossible de savoir quand vous entrez dans un magasin, même avec la ferme intention de résister, de savoir combien vous allez dépenser.

 

Le prix est impalpable, comme l’argent. Volatile, changeant, en constant mouvement, découpé pour être rendu illisible, il vous met dans cet étrange état entre frénésie et panique qui vous fait autant croire que vous allez faire une affaire, en rater une ou que vous êtes totalement entrain de vous faire avoir. Concrètement, on vous annonce un prix auquel s’ajoutent des taxes qui changent selon les Etats, puis, selon, vous pouvez vous retrouver à y ajouter un pourboire (qui oscille entre 18% et 20%) ; que vous achetiez un pull, une voiture ou une bouteille, selon le service qui a enrobé l’achat eh bien, vous vous retrouvez à toujours lâcher plus que prévu alors que depuis le début le vendeur et l’acheteur ne parlent que du prix de base comme si c’était le sujet.

 

Cela peut créer des situations assez douloureuses pour un Européen – surtout au début. Cela vous fait passer soit pour un malotru offusqué après avoir eu la désagréable sensation de s’être fait avoir, soit pour un enfant de 4 ans en train d’essayer de reconstituer une équation improbable dont les inconnues le resteraient pour toujours et surtout ne seraient jamais communiquées à celui qui achète.

 

C’est en commençant à réfléchir à cela que j’ai réalisé que la force des Américains, ce n’était pas la créativité, la capacité à innover ou même l’art du storytelling. Non ! Les Américains sont les meilleurs vendeurs du monde. Ils savent découper un prix pour vous le rendre envisageable, créer une interface fluide et légère au moment où l’on parle de ça, inventer des mots compliqués qui ont néanmoins l’air sympathiques, et vous faire tous les crédits à base de multiples pourcentages qui fait que vous repartez de chez le concessionnaire avec un pick-up quand vous vouliez une pauvre berline. (Sans parler de l’assurance qu’on avait oubliée mais ce n’est pas grave parce que son meilleur pote Igor est assureur, tiens, d’ailleurs il peut l’appeler là maintenant, y a qu’à filer son numéro de CB.) Les meilleurs vendeurs : des subprimes au tupperwares, il en fallait du talent pour vendre ça. Et de la confusion pour l’acheter aussi.

 

Et tout, autour de l’argent, est organisé ainsi, pour créer de la fluidité, de l’achat spontané, faire comme s’il fallait dépenser maintenant, là, tout de suite. C’est probablement pour cette raison qu’aux Etats-Unis vous êtes payé toutes les deux semaines. Comme ça, on ne vous laisse pas le temps de regarder votre argent dans le blanc des yeux ou de lorgner cette dernière paire de chaussures au point de vous en dégoûter en attendant de pouvoir l’acheter. Aux Amériques, si vous la voulez, on trouvera bien un moyen de vous la faire acheter, cette magnifique paire de pompes inutiles.

 

Ça paraît rien mais en dit long sur le rapport au temps et à l’argent. Et quand on sait que le temps c’est l’argent, eh bien ici, c’est plutôt une compression du temps et une dilatation du prix qui fait l’argent. De quoi vous donner le tournis ou la nausée, on ne sait plus trop à la fin… Money is a drug.

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