Avec le nouveau single concocté pour Les Enfoirés, pas sûr que Jean-Jacques Goldman soit «allé au bout de ses rêves»! Le clip «Toute la vie» est au cœur d’une polémique depuis une semaine, notamment chez les jeunes qui le jugent réactionnaire. Il véhiculerait les stéréotypes d’une jeunesse paresseuse, râleuse, fumeuse et qui envie l’aisance matérielle de ses aînés.
Les jeunes internautes ont du mal à accepter les injonctions des «anciens»: «Vous avez toute la vie. À vous de jouer, mais faudrait vous bouger!» Et leur ton culpabilisant: «Tout ce qu’on a, il a fallu le gagner.» Des messages d’autant plus difficiles à accepter qu’ils émanent, selon eux, d’artistes faisant figure de nantis, voire d’évadés fiscaux.
Devant le tollé, Jean-Jacques Goldman publie, le 27 février, un communiqué. Il regrette que les paroles aient été mal comprises et explique que l’intention était au contraire de permettre aux jeunes de «demander des comptes» aux plus âgés. Un argument du «second degré» qui ne convainc pas ses détracteurs.
Des personnalités, telles que Jacques Attali et la ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, expriment elles aussi des réserves. Certains artistes du collectif font entendre des voix dissonantes. C’est le cas de Jean-Louis Aubert, qui utilise le terme «niaiseries» à propos des chansons des Enfoirés, ajoutant ainsi à la cacophonie.
Face au bad buzz persistant, Jean-Jacques Goldman, la personnalité préférée des Français, passe à l’offensive et accorde le 4 mars sa première interview depuis quinze ans. Il répond aux humoristes du Petit Journal de Canal+, une émission qui ne peut être qualifiée de «réactionnaire». Il joue la carte de l’humour et de la dérision tout en maintenant sa ligne de défense.
Cette intervention lui permet «d’activer» davantage de fans qui volent à son secours sur la Toile pour défendre la chanson et de mettre les rieurs de son côté. De quoi dissuader nombre de ses détracteurs de poursuivre leur campagne de «bashing» par peur de passer pour des «bornés» sans humour. L’intervention, le même jour, de Marine Le Pen sur I-Télé, qui stigmatise Les Enfoirés, ne peut que les rendre encore plus prudents dans leur expression; on peut penser que tous n’aimeraient pas être suspectés de partager la même position que le Front national!
En dignes héritiers de Coluche, Les Enfoirés ont utilisé l’humour pour sauver la situation. C’est vrai qu’ils ont gagné une bataille: la vague de critiques a clairement reculé et le buzz a dopé les ventes du single. Mais on peut s’interroger sur les dommages collatéraux à plus long terme.
On peut se demander si cette intervention a vraiment permis de retourner l’opinion des déçus de la chanson, en particulier les jeunes. Pas sûr. Sur le fond, Goldman persiste et signe, et les détracteurs sont plus que jamais stigmatisés à l’aide d’une arme redoutable: l’humour. La question de la pertinence des paroles reste posée. Ce n’est pas un hasard si Jamel Debouzze, très populaire chez les jeunes, a défendu Les Restaurants du cœur plutôt que la chanson.
Un bad buzz s’apprécie dans le temps. Il peut laisser des traces sur le web, voire dans les esprits, à même de fragiliser la relation de confiance avec l’opinion. Il faut être vigilant, surtout pour une association comme Les Restos du cœur qui fait appel à la générosité du public. Elle doit éviter de susciter des sentiments ambigus. Or l’analyse des commentaires sur les réseaux sociaux permet de penser qu’un sentiment d’incompréhension subsiste parmi les «déçus» de la chanson.
Il est dommage que Les Enfoirés n’aient pas opté dès leur première communication pour un mea culpa sur le manque de clarté des paroles et le parti pris du clip (opposition du groupe de jeunes à celui des artistes qui les pointent du doigt). Pour convaincre les jeunes, un discours plus rassembleur, responsabilisant toutes les générations autour d’une même cause (l’aide aux démunis), aurait été bienvenu.
Cependant, après le sketch sur Canal+, ce mea culpa ne paraît plus approprié. Pour se reconnecter avec les jeunes déçus, un signe fort de la part des Enfoirés vis-à-vis de leur public serait opportun. On peut imaginer par exemple que le collectif associe le public d’une manière ou d’une autre au processus de création de la prochaine chanson. Cette initiative profiterait également à Goldman, dont la relation au public jeune a pu être quelque peu impactée.
A l’ère du web 2.0, il est important que l’opinion ait «voix au chapitre».