Paradoxe. Bergson disait que le rire était « de la mécanique sur du vivant ». On songe à Chaplin dans le travail à la chaîne des Temps modernes ou à Buster Keaton dans la grande roue d’un bateau à vapeur. Au temps du cinéma muet, chaque gag avait une vocation universelle car chacun pouvait s'identifier au personnage principal. À l’heure de YouTube, d’Instagram ou de TikTok, tout se passe comme si l’audience ou plutôt les audiences précédaient la vanne. Tout humoriste en herbe s’est constitué une solide communauté de followers avant d’aborder la scène ou l’écran. D’où vient qu'il est plus difficile à entendre quand il s’efforce de répondre aux attentes de son public ? Sans doute du fait qu’il a renoncé, implicitement, à nous faire rire tous. Le mime, le travail sur des situations comiques - pour moitié improvisées dans le cas de Keaton -, avait ce don divin de nous ramener à notre humanité commune. On retrouve un peu de ce rire oublié quand Jamel est soulevé comme un petit enfant par un acolyte de grande taille au Marrakech du rire. Là, nul besoin de sous-titres, aucune langue ne s’impose plus : nous avons tous été cet enfant face à l’adulte. C’est le paradoxe de notre planète connectée : jamais il n’a été aussi facile de toucher le monde entier à travers une vidéo et jamais il n’a semblé aussi difficile le toucher par le rire.