On le disait râleur, il n’était pas sottement béat. Loin, précisément, de cette béatitude de ravi de la crèche qui est la doxa de notre époque. Jean-Pierre Bacri n’est plus, et avec lui, on le sent bien, s’évanouissent des vestiges. Les restes glorieux de ce que l’on pourrait appeler l’indépendance d’esprit, par exemple. « Plus rien n’est grave, donc tout devient prétexte à foncer tête baissée dans les idées dominantes, à plier l’échine. Et j’ai horreur des échines souples, de l’absence de colonne vertébrale. » Absentes ou en guimauve, les épines dorsales, déformées par les injonctions permanentes à la positivité bêlante, à la « bienveillance » - les guillemets sont importants - et au sourire, partout, tout le temps ? L’essayiste Philippe Muray évoquait ces « sourires de bois qu’on n’aimerait pas rencontrer au coin d’un bois par une nuit sans lune ». « Un sourire, ça a de la valeur. À celui qui me l’arrache, je donne quelque chose de vrai. On dit souvent que je fais la gueule. Mais oui, je fais la gueule. Quand je n’ai aucune raison de sourire, je fais la gueule », lâchait Bacri, dans une interview au Monde, réagissant aux réductrices accusations de morosité qui ont émaillé sa carrière. Qui trop embrasse mal étreint, qui trop sourit finit par grimacer... Comme le misanthrope de Molière, Bacri ne revendiquait pas autre chose que la plus éperdue authenticité : « Sur quelque préférence, une estime se fonde/Et c'est n'estimer rien qu'estimer tout le monde ».