Fallait-il en parler? Fallait-il extirper de sa fange cette feuille d'extrême droite qui ne se vend qu'à 5000 exemplaires et ne représente rien? Ne fallait-il pas lui refuser cet excès de considération qu'est une réaction, même outrée? En écoutant la ministre de la Justice, Christiane Taubira, expliquer sur France 2 que les propos l'assimilant à un singe «dénient son appartenance à l'espèce humaine», il fallait se pincer pour se dire qu'on ne rêvait pas. Non, nous ne sommes pas dans l'Amérique du Ku Klux Klan, ni dans l'Afrique du Sud de l'apartheid.
Lorsqu'il était président, en 1979, Valéry Giscard d'Estaing, disait qu'il fallait «laisser mourir les choses basses de leur propre poison». Mais nous étions alors en pleine affaire des diamants et l'empoisonneur s'appelait Le Canard enchaîné, un grand hebdomadaire satirique d'investigation. Avec Minute, c'est d'un tout autre venin dont il est question: celui d'un journal satyre qui se délecte en épousant l'insulte raciste d'une fillette, entendue lors d'une manif anti-mariage pour tous, à Angers.
Dès lors, le pouvoir comme l'opinion publique sont piégés. Qu'on interdise Minute, qu'il soit saisi en kiosques, et ce journal pourra expliquer que s'exerce sur lui une censure, qu'il est un martyr de la liberté de la presse. Qu'on le laisse paraître, et c'est pour lui l'occasion de se faire de l'argent, et de forcer sa place dans l'espace public, y compris sur le Web puisqu'il n'est pas interdit.
Le Parquet de Paris a porté plainte pour «injure publique à caractère racial». L'éditeur de Minute cite Charlie hebdo qui a été relaxé après sa une sur Mahomet. Mais il oublie peut-être un peu vite qu'il a été jugé que cette une, même blessante, ne pouvait pas être assimilée à une «volonté délibérée d'offenser l'ensemble des musulmans». Peut-on en dire autant de Minute vis-à-vis des Noirs ? En réalité, ce journal surfe sur un sentiment diffus de racisme en France, dont a rendu compte le présentateur de TF1, Harry Roselmack, dans Le Monde.
Depuis 2010, selon l'institut CSA, le rejet de l'immigration progresse en France. Les musulmans, plus encore que les gens d'origine africaine, en sont les victimes. Et c'est bien parce que certains titres de presse l'ont compris que l'on trouve des unes vendeuses sur «l'Islam sans gêne» ou sur «l'invasion qu'on nous cache» comme l'ont titré Le Point puis Valeurs actuelles. Le rejet et l'intolérance, ça vend... Mais jusqu'où peut-on le tolérer ? C'est parce que Christiane Taubira avait pointé le peu d'émoi suscité devant des «inhibitions qui disparaissent» que le tollé a été cette fois général. Et que politiques et médias ont dit stop !