Pas tout à fait le monde d’après auquel vous pensez. La Silicon Valley et plus généralement le grand capitalisme technologique sont entrés dans une nouvelle ère, celle d’après leurs pères fondateurs. La démission la semaine dernière de Jack Dorsey de son poste de CEO de Twitter a mis l’accent sur cette passation. Elle nous invite – c’est un exercice de saison – à une rétrospective et une projection, sur l’année mais bien au-delà, sur les 20 dernières et les 20 prochaines années.
Après le décès de Steve Jobs, mort en 2011 le lendemain du lancement de l’iPhone 4S (on dit qu’un excellent baromètre de l’économie mondiale se cache dans les ventes d’iPhone, pourquoi ne pas en faire notre calendrier ?), le retrait de Bill Gates du poste de CEO de Microsoft à 45 ans en 2000, au même âge que Larry Page, fondateur de Google en 2019, Travis Kalanick qui s’est fait remercier lui de son poste chez Uber en 2017, et même Jeff Bezos qui a abandonné son mandat chez Amazon au moment où il était redevenu l’homme le plus riche du monde l’été dernier, Jack Dorsey quitte donc le réseau social qui gazouille à 45 ans.
Qu’en retenir ? Qu’avec les risques du métier, un fondateur de cette classe n’a jamais la chance d’atteindre l’âge de la retraite ou qu’au contraire cette limite d’âge, pour les milliardaires, précède de 20 ans celle de tous ceux qui n’auront jamais la chance de le devenir ? Ou bien qu’il existe un club des 45 dans la tech comme il existe le fameux club des 27 dans le rock (Hendrix, Joplin, Morrison, Cobain, Winehouse disparus à 27 ans) ?
La bonne question est plutôt de se demander comment la nouvelle génération de managers pourra réussir en succédant à de tels fondateurs. Franchement, Tim Cook et Satya Nadella, qui se partagent respectivement avec Apple et Microsoft depuis déjà un moment le titre d’entreprise la mieux valorisée au monde – ce qu’elles n’étaient pas quand ils ont pris la barre de leurs entreprises – n’ont certainement pas déçu : ils étaient les hommes de la situation.
De la diversité mais toujours pas de parité
Des hommes justement. Et toujours pas de femmes. Adieu Meg Whitman, Marissa Mayer, et même l’étoile de Sheryl Sandberg a pâli. Presque cinq ans après les révélations de Susan Fowler sur le harcèlement subi par les femmes chez Uber, soit six mois avant la déferlante #metoo qui a changé pour toujours nos perceptions et j’espère les pratiques du milieu professionnel, on ne peut que déplorer que ces entreprises ne se soient pas choisies des patronnes. Sur ce sujet, les géants de la tech, les licornes et les start-up ne font pas mieux que notre vieux CAC40.
À défaut de parité, cette nouvelle génération s’honore de bien plus de diversité. Chez Microsoft, Google/Alphabet et désormais chez Twitter, les nouveaux CEO sont tous les trois issus de l’immigration et ont d’ailleurs fait leurs études d’ingénieur en dehors des États-Unis.
Ils viennent du même pays d’ailleurs, l’Inde. L’occasion de souligner que d’autres « start-up nations » font encore mieux que la FrenchTech, malgré nos ingénieurs brillants et une année 2021 exceptionnelle. Nous avons accompli tant de progrès mais suffiront-ils ? Il y a pourtant de quoi se réjouir : la France possède désormais un cheptel de 24 licornes et une seule journée de levée de fonds historique, le 21 septembre pour être exact, a dépassé le montant total de toutes les opérations de capital risque réalisées par des start-up en France pour toute l’année 2015.
Une année qui s’achève, de nombreux dirigeants qui s’en vont, nous voilà dans l’inconnu… sur quels vétérans de ce monde d’avant compter pour préparer celui d’après ? Elon (Musk) et Zuck(erberg Mark) bien sûr. Toujours pas de retraite en vue pour ces deux-là. Ils restent les plus sulfureux, ceux dont on peut autant souhaiter que craindre le départ pour leurs entreprises Tesla, SpaceX et Meta (encore une nouveauté de 2021). Est-ce qu’ils s’accrochent au combat de trop ? Est-ce qu’il ne serait pas temps de passer la main à un.e manager plus… responsable ?
Avouons-le, aucun.e manager n’aura le courage et surtout la confiance des marchés pour prendre comme eux des paris aussi fous que ceux de la conquête de l’espace, de l’économie décarbonée pour notre planète et du métavers, cet autre monde.
Mais ils seront les prochains à quitter leurs fonctions. C’est inéluctable. Avant que ce soit leur révérence, s’ils n’ont pas fini de nous faire rêver, ils ont aussi tiré un peu toutes leurs cartouches, usé nos patiences, tiré sur la corde, joué de notre confiance.
Gageons que cette fois une femme les remplacera bientôt. C’est aussi le sens de l’histoire.
Vivement 2022 !