Chronique

« Si le premier tour de l’élection présidentielle avait lieu dimanche prochain, pour lequel des candidats suivants voteriez-vous ? » C’est toujours mieux de lire la question avant de regarder la réponse. Certains semblent l’avoir oublié. De procès facile en amalgames confondants, de soupçons en arrières-pensées, les sondages sont devenus, en ce début de campagne, une cible toute trouvée. Ce n’est pas la première fois me direz-vous. Mais face à cette déferlante de critiques, un peu de recul ne nuit pas.  

Ce recul, c’est d’abord dire que les sondages ne sont pas parfaits. Ils ont parfois connu des échecs, retentissants comme en 2002, réels comme aux dernières régionales. Quel métier ne commet pas d’erreur ? qui est aujourd’hui infaillible ? La question, c’est plutôt de tirer les enseignements de ces échecs et les sondeurs l’ont fait après le crash de 2002, notamment en intensifiant les enquêtes on line. D’ailleurs, en 2017, les dynamiques de campagne et la photo pourtant serrée du premier tour étaient largement conformes aux enquêtes réalisées. C’est aussi cette analyse critique que nous avons menée après les régionales, nous permettant d’identifier nettement la source de la surestimation du vote RN.  

La deuxième critique porte sur le nombre d’enquêtes publiées et la part prise dans les médias. Sans se défausser, nous n’en sommes pas responsables. En ce début de campagne, la fragmentation des audiences et la multiplication des médias, le paysage politique morcelé et les primaires déclarées ou non, conduisent à accorder une place considérable aux enquêtes d’opinion. Trop, diront certains. En tant que citoyen, je ne suis pas loin de le penser. C’est pour cela par exemple qu’Elabe n’a pas choisi de publier pendant la pré-campagne un sondage par semaine. Ce rythme ne me semble avoir un sens que lorsque l’offre électorale commence à se stabiliser. 

Une intention à un instant T 

La troisième porte sur le caractère prédictif. Les sondages de septembre seraient toujours très loin des résultats de mai, répètent en boucle ceux à qui ils ne sont momentanément pas favorables, oubliant qu’à d’autres moments ils en ont fait leur miel. Mais heureusement ! Cette hypothèse prédictive laisserait entendre que les campagnes électorales ne servent à rien, que les meetings, les débats, les soutiens ne feraient pas évoluer un paysage figé six mois à l’avance. Quel échec démocratique ce serait ! Les sondages mesurent une intention de vote à un instant T. Quand vous faites une prise de sang, qu’en juin tous les chiffres sont bons mais qu’en septembre votre cholestérol a monté, vous pouvez raisonnablement vous en prendre à votre alimentation estivale plutôt qu’au biologiste. Vous n’allez pas le revoir en lui reprochant : « En juin, vous ne m’aviez pas dit que ça allait augmenter ? » Dans un moment marqué par l’instantanéité, la déstructuration des grandes doctrines politiques, la défiance et la distance à l’égard de la politique, ces évolutions sont encore plus difficiles à saisir. La volatilité des intentions des vote est aujourd’hui extrêmement forte. D’où l’importance de les analyser en dynamique, de vérifier les critères comme la sureté du choix ou la certitude d’aller voter avant d’ériger un chiffre en pronostic, une enquête aussi sérieuse et scientifique soit elle en boule de cristal, et un sondeur en Madame Irma. En ne faisant que le procès des sondages, on oublie qu’ils sont un élément aujourd’hui essentiel pour comprendre la société française et ses évolutions, pour mesurer les dynamiques électorales de manière objectivée. On peut aussi dire, sans être suspecté de dérive égotique, que l’analyse du sondeur est utile pour décrypter les chiffres au lieu de les ânonner. Comme une prise de sang qu’on lirait à plat sans l’avis du médecin. 

La quatrième porte sur l’effet des sondages sur les dynamiques de campagne. Il est impensable de le nier mais tout aussi impossible à mesurer. Oui, un certain nombre d’électeurs peuvent être sensibles à la progression d’un candidat dans les sondages. Et l’effet « bandwagon » (qui consiste selon les politologues à monter dans le train du vainqueur) est sans doute plus fort que l’effet « underdog » (qui consiste à repêcher un candidat mal en point). Mais cette réserve, tout à fait audible, est partielle. Dans une époque où le citoyen est surinformé, où il exerce chaque jour son regard critique par rapport à l’information, penser qu’il ne regarde pas lui aussi les sondages avec un peu de distance me semble erroné. Comme les médias, comme les discussions du dimanche, comme les réseaux sociaux, comme les déterminants sociologiques et les affiliations politiques, les sondages sont un élément qui concourent au choix de l’électeur et font partie de ses sources d’information. Dire que les sondages font l’élection, c’est insulter l’électeur. Sonder n’est pas voter.  

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