Chronique

L’attestation Covid nous a rappelé pendant deux mois que nous avions une date de naissance et une adresse où notre corps devait être confiné. « Tu prends la chambre, je prends le salon. Non, je reste dans la cuisine, j’ai du Wifi “Zgougou 5G EXT”, c’est bien ça, l’ adresse ? » 

La question du « poids du corps » – expression qui fleurit sur la « bande passante » de la novlangue communicante – est désormais posée. Être ou ne pas être là ? Nos bureaux de demain seront-ils les bureaux d’hier ? Et avons-nous vraiment besoin d’être à Paris pour faire agence ? 

Un Français sur deux souhaite rester chez lui ou ne retourner qu’en partie sur son lieu de travail (Sondage Ifop Fiducial pour le JDD). L’open space a donc du plomb dans l’aile et c’est tant mieux ! Mais qu’allons-nous proposer à nos clients en matière d’architecture ? De quels espaces allons-nous avoir besoin? Estelle Mège, dans sa contribution à notre correspondance avec Gilles Deléris, donne des éléments de réponse. « Le déconfinement devra permettre de recréer du lien, et les lieux devront offrir les conditions propices à cette rencontre d’un nouveau genre. Une fois la survie et la sécurité assurées, le besoin de rétablir le lien social et le sentiment d’appartenance devront être assouvis. » 

Ne jetons pas trop vite les bureaux avec l’eau du virus. Un peu comme au retour d’été, nous allons avoir envie de modifier nos espaces pour qu’ils nous aident à nous retrouver et à trouver. À nous retrouver, parce que l’interaction, le contact physique, les échanges de regard et de bons mots sont indispensables aux êtres sociaux que nous sommes. À trouver, parce que notre métier consistera toujours à chercher et trouver des idées et des solutions nouvelles et que, fondé sur la confiance et la responsabilité, il nous imposera de proposer de nouvelles formes de présence, dans de multiples espaces : créativité, convivialité, silence, repos, détente… Espérons que le port du masque ne dure pas car « la réciprocité des échanges au sein du lien social implique l’identification des visages, support essentiel de la communication (David Le Breton, Le Monde, 12 mai 2020)». Comment prétendre œuvrer pour la communication si nous-mêmes ne parvenons pas à communiquer avec le poids du corps et la légèreté de l’esprit ?

Le télétravail, à utiliser avec modération

Le confinement nous a fait faire un bond salutaire sur le télétravail. Mais le bilan reste à faire. Méka Brunel, directrice générale de Gecina, commentant une chronique de Sophie Fay sur France Inter, invite à la vigilance : « Si la situation actuelle nous amène à repenser notre espace de travail, il faut aussi veiller à préserver notre espace de repos, dédié à la famille, à l’intime : la maison ! » Après le « c’est génial, ces Zoom et ces Teams en cascade », les médecins tirent la sonnette d’alarme : le télétravail, à dose massive, entraînant des ruptures de rythme biologique, une augmentation des addictions et des détresses psychologiques sévères. 

Enfin, reste la question délicate de la présence à Paris. Victor Hugo, adepte du télétravail en exil, est assez clair. 

« Si nous pouvions quitter ce Paris triste et fou.  

Nous fuirions ; nous irions quelque part, n'importe où, 

Chercher loin des vains bruits, loin des haines jalouses,

Un coin où nous aurions des arbres, des pelouses … »  

Les transports en commun aux heures de pointe, les heures passées dans les embouteillages, les alertes pollution, les accidents de scoot sur le périph… ça c’est Paris ! Le reboot va-t-il nous faire tourner la roue encore plus vite sous prétexte de relance ? Le déconfinement doit être une opportunité pour décider où placer le poids du corps, le nôtre, et celui de nos équipes pour travailler et bien vivre, pour vivre et mieux travailler. 

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