Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
…
Il y a bientôt deux siècles, Charles Baudelaire nous donnait à lire la mélancolie de la jeunesse parisienne.
En changerait-il une ligne aujourd’hui ? Sans doute non. Il faut entendre les élèves de SciencesPo, du Celsa, des écoles de management, celles et ceux qui rejoindront nos professions, les entreprises ou nos agences dans les années qui viennent pour s’en convaincre.
Le moral est bas. Aussi bas que le ciel baudelairien. La colère est grande tant ils sont conscients de l’urgence à rebattre les cartes de l’USP et des KPI qui semblaient inexorablement ordonnées pour vendre, toujours plus, plus de produits inutiles.
Avec lucidité, ils enragent du «Learning as Usual», d’envisager, grâce aux datas, les citoyens comme des cibles que l’on tire au fusil à lunette, de porter encore aux nues la nouveauté proctérienne d’une lessive qui laverait plus blanc que blanc, d’énoncer, avec des mots nouveaux, les vieux préceptes de Bernardo Trujillo comme parole d’évangile. Ils ne veulent plus apprendre comment quelques îlots de perte masquent des océans de profit d’où émerge le septième continent des déchets de plastique.
Ils sont pourtant notre chance. Ils dénouent les grosses ficelles du «goodvertising» de circonstance. Ils pointent les incohérences des engagements de la grande distribution, lorsqu’in fine, la mécanique économique détermine seule la marche de l’entreprise. Ils connaissent la chaine de valeur et comment les meilleures intentions affichées dans la publicité maintiennent des statu quo.
Ils ne sont pas dupes. Il y a 60 ans, Moulinex libérait la femme en l’enfermant dans sa cuisine. En 2020, pour les génies de la fringue, l’urgence climatique et #metoo sont les nouveaux insights. Les silhouettes splendides des mannequins arpentent les podiums de la Fashion Week, arborant sur leurs T-shirts les slogans floqués qui vont bien. Patriarcat = CO2 ou comment dépenser 500 euros pour s’émanciper.
Trop jeunes pour le cynisme
Business as Usual... Où cela les mènera-t-il ? En deviendront-ils à leur tour les complices et les bras armés ? Ils s’interrogent. Leurs cœurs balancent. Ils doutent. De leurs ainés, tant mieux. D’eux-mêmes, hélas. Ils sont trop jeunes pour le cynisme. Reste l’option radicale de renverser la table.
Pêché de jeunesse ? Romantisme utopique ? Intransigeance irresponsable ? Il est trop facile d’opposer à leurs convictions le procès de leur immaturité supposée. Ont-ils des contradictions ? Oui ! Échappent-ils à la surconsommation qu’ils dénoncent ? Non ! Ils ont grandi à nos côtés... Mais ils sont informés, sur-informés, sur-impliqués. Ils ont toutes les données. Ils voient bien que la communication carbonée qui a soutenu l’idée de progrès tout au long du siècle dernier, accompagné la croissance de l’activité industrielle et économique, nous a invités à nous installer dans le confort hypnotique de l’hyperconsommation. Cela n’a pour eux plus de sens aujourd’hui.
Il leur revient de renverser les tables de la loi du marketing et de la publicité. De repenser les modèles qu’on leur enseigne et de communiquer le monde qu’ils habiteront avec d’autres valeurs que celles de leurs prédécesseurs. Ils inventeront d’autres ROI que ceux des volumes et de la vente additionnelle. Ils prendront le pouvoir dans les entreprises pour mettre en accord leurs propos et leurs modèles économiques. Ils travailleront avec les designers, les ingénieurs, les agriculteurs pour joindre l’utile au désirable, pour donner corps à leurs rêves. Car rien ne doit s’opposer au plaisir. Ils seront la première génération à faire mieux avec moins. Ils le feront et le feront savoir avec humour, talent et créativité en renvoyant à la préhistoire le matraquage des cerveaux disponibles. Ils annoncent un vent frais. Ils chasseront les nuages et avec Paul Éluard, ils prendront de vitesse l’aube et le printemps.