Quel que soit le bulletin glissé dans l’urne et quel que soit son âge, le renouvellement du printemps 2017 avait fière allure. Un président de moins de 40 ans, le plus fort taux de renouvellement de l’Assemblée nationale… Tout cela donnait un sacré coup de vieux à la politique d’avant, en même temps que cela donnait un sacré coup de jeune au pays tout entier. Le « vieux pays » s’était réveillé. Les chaines d’infos faisaient place à de nouveaux visages que l’on apprenait à découvrir et à des noms dont on avait du mal à se souvenir. Les Comex se rajeunissaient eux aussi subitement. Les conventions internes cherchaient des trenta à mettre en lumière, les rubriques nominations se remplissaient de moins de 35. Les éditorialistes chevronnés devaient apprendre à partager l’antenne avec des jeunes signatures talentueuses. Les lobbyistes perdus retournaient sans cesse leur trombinoscope pour y retrouver un visage connu ou une connexion activable.
Par effet de ricochet, cet effet de souffle donnait aussi aux quinqua (état que revendique l’auteur de ces lignes) un bon coup de pied qui disait « secouez-vous » et « faites de la place », « ne verrouillez pas les postes que vous occupez ». Sincèrement, ce coup de jeune que l’on voyait s’étendre à tous les pans de la société était stimulant et revigorant.
Si à 40 ans on a pas souffert…
Cela s’est un peu gâté, quand les tempes grisonnantes se sont vues qualifiées d’« ancien monde ». L’ancien monde évoquait-il les dinosaures ? Faisait-il référence à Rome et à sa décrépitude ? L’expression voulait-elle mettre en lumière un déphasage avec la modernité ? Ou était-ce une parole policée pour évoquer le ralentissement des artères, donc des cerveaux ?
L’ancien monde encaissait et doutait. L’âge était-il devenu disqualifiant pour un poste de responsabilité en politique ou en entreprise ? L’expérience acquise, la somme des succès et des erreurs, des victoires et des échecs, des matins de doutes et des soirs d’espoir ne valaient-elles plus rien ?
Nous en étions là, avant même les Gilets jaunes, quand le vent se mit à tourner autour de la stature présidentielle. Subitement l’âge devenait défaut. On soulignait l’inexpérience, l’absence de patine pour les moments difficiles, la difficulté d’être devenu chef sans avoir jamais vraiment souffert, le sentiment qu’à 40 ans on ne pouvait connaître qu’une partie de la vie et pas la dureté de sa réalité quotidienne. Et on se mettait à critiquer les entourages. Trop semblables, trop jeunes eux aussi. On pointait l’effet cumulatif de l’homogénéité générationnelle et sociale du chef et de son fan club.
Énergie et sagesse, l'alchimie complexe
C’est là qu’on en vint à regretter ce que l’on avait cherché à éradiquer : l’expérience. Celle qui permet de savoir qu’à la dixième gestion de crise on ne commet forcément pas les mêmes erreurs qu’à la première. Celle qui permet de considérer que prendre un peu de temps permet parfois d’éviter les marches arrière brusques et contraintes. Celle qui te glisse à l’oreille qu’une demi-heure passée avec un sage à qui on a montré sa considération est toujours utile pour le jour où tu devras faire appel à lui en catastrophe pour bénéficier de ses conseils. Celle qui te rappelle ce juste proverbe : « Quand tu montes à l'échelle, souris à tous ceux que tu dépasses, car tu croiseras les mêmes en redescendant. »
Et au terme de ce mouvement d’essuie-glace dont notre pays a le secret, on se dit simplement que, comme dans toute chose, l’équilibre a des vertus. Que le chef ou le manager qui veut secouer son pays ou son entreprise doit réussir cette alchimie complexe : l’énergie et la sagesse. Le mouvement et les fondamentaux. L’audace et le respect. Le renouvellement et l’expérience. En même temps…Et que manager aujourd’hui ce n’est pas assembler un commando uniforme, mais savoir rassembler, transcender un collectif multiple, hybride, où l’on ne pense pas pareil parce qu’on n’a pas la même vie, la même trajectoire ou que l’on n’appartient pas à la même génération.
Certes Rodrigue avait immensément raison : « La valeur n’attend point le nombre des années ». Mais les mésaventures de Macron sont là pour rappeler aussi que le nombre des années n’est pas sans valeur.