Ne dites vraiment plus à ma mère que je travaille dans la publicité, elle me croit banquier tchétchène ou trafiquant d’armes.
Elle est si fière de moi. Elle raconte à ses vieux amis que je me débrouille bien, tout le portrait de son père, que je connais du monde, que je voyage, que j’ai le sens des affaires. Je vois bien dans son regard émerveillé qu’elle m’imagine sillonnant le monde, d’hôtels de luxe en hôtels de luxe, multipliant les contrats et les conquêtes…
Quand je déjeune avec elle, je n’ose pas la décevoir. Je ne démens pas, j’élude. Elle prend mon silence pour l’ultime discrétion d’un homme du 21ème siècle autour duquel tourne le soleil, l’univers, et l’argent. Elle aime cette idée que son fils ait réussi.
— Tu es beau, mon grand ! dit-elle, m’intimant l’ordre de rester assis pendant qu’elle débarrasse.
Imaginez une seconde que tombe le masque…
— Maman, j’ai quelque chose à t’avouer… Je ne suis pas celui que tu crois… Je travaille dans la com et j’ai même des amis publicitaires…
Stupeur. Sa main étreignant son cœur :
— Ah, mon grand, qu’est-ce que tu me dis là ?
Grand silence.
« C’est toi qui nous saoules à longueur de journée ? »
— Moi qui croyais que tu avais une belle situation, comme ton père, que tu gagnais honnêtement ta vie…
— Je suis honnête, Maman ! C’est le plus beau métier du monde. On croise des gens formidables, on fait de belles choses, on raconte de belles histoires…
Soupir…
— Tu nous racontes des histoires, oui ! Alors, c’est toi qui inondes nos téléphones et qui nous saoules à longueur de journée ? C’est toi qui affiches dans la rue toutes ces niaiseries inutiles, toutes ces publicités inodores, sans sel et sans saveur qui se ressemblent toutes. Bravo ! Félicitations ! Je tombe des nues !
Sanglots…
— Mais maman, les réglementations nous…
— Les réglementations ?!? Quoi, les réglementations ? prise d’une colère soudaine.
— Ben, les réglementations environnementales, la prévention des risques sanitaires, des addictions, des excès, le respect des communautarismes, des Bretons, des Corses, des paranoïaques, les…
— Tu te fiches de moi ! C’est ton boulot de faire mieux et c’était mieux avant, figure-toi ! On n’y croyait pas plus, mais c’était amusant, c’était distrayant. On savait bien que les voitures ne décollaient pas des porte-avions, mais au moins, on était au spectacle.
— Mamaaaan ! les gens ne veulent plus de spectacle. Ils se méfient de tout, ils ne font plus confiance aux marques. On leur a trop dit n’importe quoi.
— Quand je pense que tu étais le plus créatif de la famille… Et tu nous bassines avec tes gens contents d’être heureux qui nous vendent un monde aseptisé avec cinq fruits et légumes par jour…
« C’est toi qui fais passer les femmes pour des potiches ? »
— Tu sais, on travaille beaucoup, on charrette, on donne le meilleur de nous-mêmes. Les délais sont de plus en plus cou…
— Ah la bonne excuse ! Les délais ceci, les clients cela… Non ! Ne cherche pas de coupables. Gagner de l’argent sur ces platitudes et ces inepties, c’est du vol.
— Si tu savais… Il faut que je te dise… Je ne gagne pas l’argent que tu crois… Ce n’est plus comme avant. Ça fait des années qu’on voyage en seconde classe et qu’on se déplace en métro. Les Gafa et les cabinets de conseil nous ont désintermédiés et…
— Ne m’embrouille pas avec tes mots compliqués. Désintégré ? Tu l’as bien cherché. Tu aurais été bien plus tranquille à vendre des armes, comme papa. Ça au moins, c’est une industrie qui ne connaît pas la crise ! Non seulement tu te tues à la tâche et tu ne gagnes même pas ta vie. Mais qui voudrait faire un métier pareil ! Et puis parlons-en du monde que tu nous proposes. C’est toi qui fais passer les femmes pour des potiches ou des écervelées ? Tu n’as pas d’autres idées que de montrer leurs fesses. Tu y penses, à ta mère, quand tu fais tes photos dégoûtantes ?
— Mais les choses changent ! On respecte les consommateurs. On fait attention, on analyse les datas, les mentalités évoluent et c’est notre job d’y être attentif…
— Ah oui !?! Les filles allongées sur table pour te vendre une cuisine, celles à quatre pattes pour te vendre des chaussures, la bière Kékette pour la coupe du monde, tu trouves ça malin ? C’est grâce aux datas, ces âneries ? Fais parler ton cœur au lieu de raisonner comme un comptable. Ton père, lui, avait une morale. Il ne m’a jamais manqué de respect.
— Mais maman, c’est une minorité et puis, c’est pas moi, je te ju…
— Ne jure pas, mon fils ! Tiens et puis tu m’énerves, finis de débarrasser et fais la vaisselle pour une fois !