Ne devrions-nous pas en finir avec les inégalités, en particulier aller au bout du sujet de la parité une bonne fois pour toutes avant de considérer que plus aucune autre cause ne peut justifier de dévier tous nos efforts de l’urgence environnementale ?
Depuis ma précédente chronique, il y a déjà 3 semaines, je me suis retrouvé pour la première fois depuis trois ans à un événement qu’organise chaque fin d’année l’école que j’ai fréquentée au siècle dernier. A une heure déjà avancée, j’ai dû me défendre devant deux jeunes femmes : lors des prises de parole, nous avions promu et atteint la parité mais nous n’avions pas suffisamment insisté sur l’urgence de la crise climatique. Après les étudiants d’AgroParisTech et de HEC qui appelaient leurs camarades à « bifurquer », « refuser de faire la guerre au vivant », « prendre conscience que les métiers vers lesquels menaient [leurs] études étaient la principale cause de cet effondrement environnemental », il n’est plus question de se taire et chaque école ressent désormais l’obligation de laisser sa tribune pour un plaidoyer convaincant. Bravo, on ne peut que soutenir ces jeunes rebelles mais n’opposons pas, concilions et surtout ne croyons pas trop vite avoir gagné sur le terrain des inégalités.
Ma question et ma tentative pour convaincre ces deux jeunes activistes comme on les appelle dans la langue qui nous rend à la sortie de ces mêmes écoles, entrepreneur, développeur ou data-scientist : ne devrions-nous pas en finir avec les inégalités, en particulier aller au bout du sujet de la parité une bonne fois pour toutes avant de considérer que plus aucune autre cause ne peut justifier de dévier tous nos efforts de l’urgence environnementale ?
Certes, sans s’en contenter ou s’autocongratuler, notons que dans ce monde d’après tellement incertain et rarement réjouissant, les grandes nominations récentes du CAC40 (Engie, Orange, et cet été Veolia) ont systématiquement concerné des femmes et qu’il n’était pas envisageable que le poste de Premier ministre ne soit pas confié en juin 2022 à une femme et, pour la première fois de notre histoire, nous avons une présidente élue à l’Assemblée nationale.
Lire aussi : Où sont les cheffes ?
Mais ne mollissons pas, ne nous croyons certainement pas arrivés et redoublons d’efforts. L’abrogation hallucinante de l’arrêt Roe v. Wade par la Cour Suprême des États-Unis qui remet en cause la liberté fondamentale des femmes d’avorter dans la « plus grande démocratie du monde » doit nous rappeler que des combats qui nous semblaient gagnés de longue date peuvent être perdus à nouveau et toute la lutte à reprendre.
Et pour commencer, ne nous cachons pas, Internet est sans doute sexiste. Comment en serait-il autrement ? Le CAC40 fait mieux que le Next40 de la FrenchTech en matière de femmes dirigeantes, mais surtout, comment imaginer que des services pour des milliards d’humains soient conçus par une minorité d’ingénieurs brillants dont l’écrasante majorité est constituée d’hommes ? Savez-vous me citer un Gafa fondé ou même dirigé par une femme ? Même Sheryl Sandberg, historique numéro 2 de Facebook, a démissionné récemment, usée et… remplacée par un homme. Pire, connaissez-vous un réseau social pensé et créé par des femmes pour les femmes ?
Cette question vous semble saugrenue ou, pire, rétrograde ? C’est pourtant celle d’un excellent article du MIT Technology Review : Un Internet féministe serait meilleur pour nous tous. Le constat est accablant, peut-être encore plus que dans la rue, les femmes sont soumises à la haine et au sexisme sur les réseaux sociaux et la situation aurait même tendance à empirer. Les algorithmes qui favorisent l’engagement ne font pas la part de l’ « enragement » qu’ils provoquent et les femmes en sont les premières victimes. Aussi, on ne dit jamais assez que la part des femmes dans les métiers de la tech approchait les 40% dans les années 1980, elle est moitié moindre aujourd’hui.
Lire aussi : La tech française signe un nouvel engagement pour l'égalité femmes-hommes
Et un peu comme le rapport du Giec ne date pas de la semaine dernière, l’Association for Progressive Communication, une sorte d’ONU de 57 associations d’activistes en ligne, a émis en 2016 une liste de 17 commandements pour un Internet féministe après des centaines d’heures d’échanges, d’entretiens, d’ateliers avec des victimes, des militantes, des juristes, des chercheurs, des experts des réseaux et des technologies.
Vous ne serez pas surpris d’apprendre que l’Internet que cette association appelle de ses vœux est moins hiérarchique, plus coopératif, plus démocratique, bien moins dépendant de nos données personnelles tout en étant bien plus vigilant sur le harcèlement et les propos haineux.
Quelques jours après la fin du mois des fiertés LGBTQ+, forts de nombreux progrès sur le front de la parité et de la campagne salvatrice qui a suivi le mouvement #metoo, décidons résolument de maintenir nos efforts sur ces fronts et si la priorité et l’urgence du dérèglement climatique sont enfin partagées, ne lâchons rien sur le terrain des inégalités, allons ensemble au bout de ce grand ménage, continuons le combat.
Lire aussi : EY Consulting acquiert Fabernovel