La nuit parisienne perd encore un de ses chefs-lieux avec la fermeture du Bus Palladium. Heureusement qu'il nous reste le jeu Wordle.
Les masques tombés, nous respirions à peine qu’il a fallu retenir notre souffle à nouveau. Guerre en Ukraine, pandémie toujours parmi nous. Retour en apnée. Et comment souffler quand la violence arrive jusqu’à la cérémonie des Oscars et que nos nuits ne prétendent même plus être plus belles que ces jours… Le Bus Palladium ferme ce mois-ci. Après les Bains Douches, le Queen, le Baron, la nuit parisienne perd un de ses chefs-lieux, trois générations l’avaient fréquenté… on pourrait se consoler en se disant que les boîtes de nuit n’ont pas vocation à devenir des institutions, que si TikTok a remplacé Facebook, un lieu de nuit réunit ses oiseaux, qu’ils migrent, changent de nid, le cycle de la vie et de la nuit quoi. Même pas. Le Bus Palladium n’est pas remplacé. Une fois encore, un énième hôtel poussera à l’adresse de la rue Fontaine chantée par Gainsbourg. À Paris, on dort plus qu’on ne sort. Là, vous vous dites que j’ai subi le coup de froid de la semaine dernière, comme ces bourgeons qui ont pris la neige, cassé dans mon élan vital. Mais l’optimisme est de volonté ! Alors je vais utiliser les 3.000 caractères qui me restent pour un conte de printemps, une belle histoire d’amour, de technologie qui respecte l’intelligence et les données personnelles de ses utilisateurs, un modèle de transformation d’un vieux secteur et de réussite entrepreneuriale.
Connaissez-vous Wordle ? Si vous avez fréquenté le Bus Palladium, peut-être qu’au réveil, le lendemain sur France 2, vous tombiez sur Motus, le jeu diffusé sur Antenne 2 puis France 2 pendant près de trente ans. Wordle, c’est une application javascript qui reprend les principes de ce jeu. Enfermé à Brooklyn pendant le confinement, Josh Wardle, développeur qui contribuait jusque là à la réussite de Reddit, s’ennuyait comme nous tous. Son compagnon passionné de mots croisés ne pouvait se satisfaire de son lot quotidien dans les pages du New York Times. Alors Josh a codé ce petit jeu tout simple, sans publicité ni abonnement, sans autre ambition que de faire plaisir à la personne qui partageait sa vie. Il faut dire que le jeu est d’une simplicité biblique qui rompt tellement avec tous nos sujets (passionnants !) de métavers et de Web3 : un mot à découvrir par jour, un seul, six tentatives, pas une de plus. La promesse est là, ne rien vous demander de plus que trois minutes par jour.
Success story
Réservé à sa famille et ses amis sur WhatsApp, le jeu est devenu rapidement populaire sur les réseaux sociaux. Deux mois après son lancement, 300 000 joueurs se connectaient chaque jour à cette grille jeu au design basique, pour ne pas dire rustre, qui titille notre intellect sans se goinfrer de nos données. Le succès est tel que Wordle et Wardle sont copiés, pillés, pire détournés. Les App Stores se remplissent de plagiats, il faut avouer que la simplicité est plus facile à répliquer. La communauté des fans prend Apple et Google à partie et devant la levée de boucliers, les copies sont bannies. Josh ne bouge pas, le succès ne lui monte pas à la tête : le jeu gratuit doit en rester un et il est hors de question qu’il en fasse un travail.
Mais une belle histoire a forcément une fin heureuse. Le New York Times, qui avait du mal à fournir les grilles de mots croisés à la famille Wardle, a fait un chèque de quelques millions de dollars à son concepteur pour racheter Wordle. Le jeu reste gratuit et toujours sans publicité apparente, et s’il cache désormais des trackers publicitaires bannis jusque-là, il a gagné au passage le chic du Times, sa police de caractère et son noir et blanc classieux. Qu’est-ce qui me prend dans cette période de mobilisation pour l’Ukraine et son peuple, de fin de la distanciation sociale et du début du printemps de me réjouir d’une historiette tech qui sent la tisane et le plaid sur le canapé ? Le Bus s’est arrêté et il neige en avril. Vite, une camomille et un Wordle.